Jeudi soir, le dîner de Noël de l'Union européenne ressemblait à ce que certaines familles vivent parfois en cette période de l'année : derrière les sourires et la bonne humeur, des désaccords profonds et un risque de rupture définitive. Venue rencontrer les 27 pour tenter de renégocier l'accord du Brexit, Theresa May a d'abord reçu l'assurance de plusieurs homologues qu'elle serait aidée. Pour, finalement, se heurter à un mur.
La Première ministre britannique se devait d'essayer. En l'état, le projet d'accord qu'elle a négocié ne sera pas accepté par son Parlement. Celui-ci est si remonté qu'il a même essayé de la renverser avec une motion de défiance cette semaine. Si l'insubmersible Theresa May s'en est (encore) tirée, il lui faut néanmoins se reconsolider politiquement. Obtenir une renégociation de l'accord serait déjà un bon début.
"Décidez enfin de ce que vous voulez". Mais les discussions ont tourné court. "On ne peut pas rouvrir un accord juridique, on ne peut pas renégocier ce qui a été négocié pendant plusieurs mois", a martelé Emmanuel Macron. Le chef du gouvernement néerlandais, Mark Rutte, a préféré donner dans la métaphore : "le citron a été entièrement pressé." Si les 27 sont aussi agacés, c'est que Theresa May n'a pas été capable de mettre sur la table des demandes claires et réalistes. "Nos amis britanniques doivent dire ce qu'ils veulent au lieu de nous faire dire ce que nous voulons", s'est agacé Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, après la rencontre. "C'est au Royaume-Uni de proposer des réponses dans les prochaines semaines." La présidente lituanienne, Dalia Grybauskaité, a été plus piquante encore sur Twitter : "Vœu de Noël pour le Brexit : décidez enfin de ce que vous voulez vraiment et le père Noël vous livrera."
#Brexit Christmas wish: finally decide what you really want and Santa will deliver pic.twitter.com/lJziZsahry
— Dalia Grybauskaitė (@Grybauskaite_LT) 13 décembre 2018
Le backstop au cœur des négociations. Le point qui coince, c'est encore et toujours le "backstop", ce "filet de sécurité" qui doit permettre de maintenir l'Irlande du nord dans le marché unique si aucune autre solution n'est trouvée d'ici à la fin de la période de transition. Le Royaume-Uni estime que son intégrité est menacée, puisque cela pourrait séparer l'Irlande du nord du reste du pays. De leur côté, les 27 se sont contentés de répéter que ce dispositif n'était destiné qu'à rester temporaire. "Il n'existe pas d'autre option de repli crédible qui puisse prendre la place du backstop", a asséné le Premier ministre irlandais Leo Varadkar. En l'absence d'autre issue, le Royaume-Uni semble se diriger tout droit vers un "no deal", c'est-à-dire une sortie de l'Union européenne sans aucun accord juridique.
Difficultés politiques et économiques du "no deal". Les 27 s'y préparent d'ailleurs activement. Jean-Claude Juncker a prévenu que, le 19 décembre, "toutes les informations généralement utiles qui concernent la préparation d'un 'no deal'" seront publiées. Le "no deal" poserait d'énormes difficultés, tant pour l'Union européenne que pour le Royaume-Uni, puisqu'aucune question sensible ne serait réglée. Du jour au lendemain, des milliers d'Européens résidant Outre-Manche, ainsi que tous les Britanniques vivant dans l'Union européenne, se retrouveraient sans statut. Les contrôles aux frontières seraient rétablis et aucun accord économique ne serait garanti entre les 27 et leur ancien partenaire. Et si le "backstop" paraît une mauvaise solution à beaucoup aujourd'hui, l'hypothèse d'un retour d'une frontière entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande agite plus de craintes encore. Enfin, le Royaume-Uni serait confronté à de nombreux tiraillements internes, notamment celui de l'Écosse, qui a majoritairement voté contre le Brexit et voit ses velléités d'indépendance ravivées.
Économiquement, les effets d'un "no deal" sont difficiles à évaluer précisément mais inquiètent tous les milieux et tous les secteurs. Eurostar à l'arrêt, embouteillages aux frontières, problèmes d'harmonisation des normes sur les produits alimentaires, les animaux de compagnie comme le bétail… la liste des conséquences potentielles est très longue.
" Si le Parlement ne peut pas se décider, il doit s'en remettre au peuple. "
L'option du second référendum. Theresa May ne s'y est d'ailleurs pas trompée et a toujours agité la menace du "no deal" pour convaincre les députés britanniques d'accepter son accord, même à reculons. "C'est le meilleur possible, le seul possible", a-t-elle déclaré devant le Parlement le 25 novembre dernier. Mais entre cet accord inacceptable pour beaucoup et un vide juridique effrayant, une autre voie pourrait encore se dessiner : celle d'un deuxième référendum. Hautement improbable il y a quelques semaines encore, cette option est brandie par les anti-Brexit de plus en plus régulièrement. Elle prend de plus en plus de poids alors que le Royaume-Uni s'enfonce dans l'impasse. "Maintenant, le moment est venu de se préparer, pour le Parlement, à faire en sorte qu'il puisse envisager des choix, l'un après l'autre, et à opter pour l'un d'eux ou pour un référendum", a écrit l'ancien Premier ministre travailliste Tony Blair vendredi. La formulation est prudente, pour ne pas dire alambiquée, mais le propos devient ensuite cristallin : "Si le Parlement ne peut pas se décider, il doit s'en remettre au peuple."