Après l’accord de jeudi sur le Brexit, l’ambiance n’est pas la même dans les ports de la Manche. Côté britannique, la pilule est difficile à avaler. Côté français en revanche, on se frotte les mains. Car cet accord commercial - qui comporte une quarantaine de pages très techniques sur la pêche - avantage clairement les marins tricolores. S’ils devront progressivement rétrocéder 25% de leur prise aux Britanniques sous cinq ans, ils pourront parallèlement continuer à sillonner les eaux du Royaume-Uni, non loin des côtes. A Hastings, au sud-est de l’Angleterre, Europe 1 a rencontré des pêcheurs complètement abattus par le texte et ses conséquences.
"Le gouvernement a vendu les pêcheurs pour obtenir un accord"
Il faut dire que cette petite ville de briques est entièrement tournée vers son port, petit lui aussi, puisque ce n’est qu’une rue. Derrière, c’est la plage. Pas de quais, des baraques à même le sable au milieu des filets vides et pas de chalutiers non plus, mais une vingtaine de bateaux de pêche de quelques mètres. A leur bord, des marins en gilets jaunes, qui sont comme assommés.
Ils racontent l’impression d’avoir été sacrifiés, cédés comme monnaie d’échange pour que le Royaume-Uni conserve l’accès au marché européen. "Le gouvernement a vendu les pêcheurs pour obtenir un accord, pour que les autres pays soient satisfaits", estime l’un d’eux, dépité comme les autres. "Le Brexit ne va rien changer pour nous. Nous avons pensé que ce serait mieux, mais non."
"On récupère 25% de quoi ? De nos propres poissons ?"
Et les fameux 25% ne changent rien à la morosité ambiante. Car ce n’est pas ce qu’attendaient les pêcheurs. Aujourd’hui, il est possible pour tous les navires battant pavillon européen de pêcher à 6 miles - environ 10 km - des côtes britanniques. Or à Hastings, on veut que les navires étrangers soient éloignés d’au moins 20 kilomètres. Pour des raisons de souveraineté, mais aussi et surtout parce que c’est dans cet écart-là, entre 10 et 20 kilomètres au-delà du rivage, que les prises sont les meilleures.
Le patron du port d’Hastings estime ainsi que 70% des poissons français viennent de cette zone. "On dirait qu’ils ont gagné. Notre gouvernement a cédé", soupire Paul Joy. "Les Français peuvent venir pêcher à 6 miles des rives britanniques, mais nous ne pouvons pas aller pêcher à 12 miles des leurs. Donc on récupère 25% de quoi ? De nos propres poissons ? Je suis inquiet, on n’arrive plus à vivre. Pas à cause des quotas, mais surtout parce que le poisson est pêché avant qu’il n’arrive jusqu’au rivage. Il est pêché par des navires étrangers, en eaux britanniques. Et ça va continuer encore cinq ans."
Un "moyen de pression" sur Londres
De l’autre côté de la Manche, le sentiment est diamétralement opposé. D’abord, les 25% de rétrocession sonnent comme une victoire, car les pêcheurs britanniques en réclamaient 60%, voire 80%. Ensuite parce qu’il ne s'agit pas d'un quota annuel mais progressif, à atteindre d'ici 2026, et qu’il est réparti par pays de l'Union. Du coup en France, l'impact devrait être limité. "Au premier calcul, on serait sur -8% au total sur six ans au niveau national", mesure Olivier Le Nézet, président du comité des pêches de Bretagne. "Après, la déclinaison régionale reste à calculer précisément en fonction des espèces, des zones et des armements concernés."
Et le délai de cinq ans ne fait pas peur aux pêcheurs français, en position de force vis-à-vis de Londres, qui ne peut pas s’offrir le luxe de se fâcher avec l'Europe et son puissant marché, dans lequel sont notamment écoulées chaque année pas moins de 100.000 tonnes de poissons capturés par les Britanniques. "Pour eux, il est indispensable de pouvoir continuer à avoir accès au marché", confirme Olivier Le Nézet. "Le moyen de pression auprès du Royaume-Uni est évidemment des mesures de rétorsion sur l’accès au marché commun en Europe." Un garde-fou essentiel pour protéger une filière forte en Bretagne de 5.1500 marins répartis sur 1.300 bateaux.
Et à Hastings, le fatalisme fait écho à cet optimisme français. Le sentiment général, c’est que de toute façon, dans cinq ans, il sera trop tard pour sauver les pêcheurs. Et que l’accord de jeudi a vraiment signé l’arrêt de mort de la pêche artisanale anglaise.