Brexit : Theresa May peut-elle aller jusqu'au bout ?

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Le gouvernement britannique a annoncé mardi qu'un accord de Brexit avait été trouvé. Le chemin reste encore long avant son adoption, d'autant qu'à Londres, Theresa May est lâchée par tous.

La nouvelle tardait tellement qu'on ne l'attendait presque plus. Mardi pourtant, le gouvernement britannique a annoncé être parvenu à un accord avec l'Union européenne sur le Brexit. Le projet final, de plus de 500 pages, supposé régler des questions délicates comme celle de la frontière irlandaise, est-il la porte de sortie que tout le monde attendait ?

Rien n'est moins sûr, tant cette annonce a aussi déclenché une crise politique de l'autre côté de la Manche. En quelques heures, plusieurs membres du gouvernement britannique ont démissionné, désavouant l'accord trouvé. Ce qui laisse présager de grandes difficultés pour la suite. Theresa May doit en effet absolument faire approuver l'accord par son Parlement, ce qui semble très compliqué.

Au Parlement, Theresa May n'a pas de majorité

Le vote du Parlement britannique est prévu au mois de décembre. D'ici là, la Première ministre doit rallier à sa cause 320 parlementaires, soit la majorité absolue. Mathématiquement, c'est difficile : Theresa May ne dispose que de 316 députés conservateurs et dix unionistes démocrates (DUP), qui ne seront pas tous derrière elle. De fait, une cinquantaine de conservateurs et les dix DUP ont déjà annoncé qu'ils rejetteraient l'accord. Cet isolement de la cheffe du gouvernement était visible, jeudi, lorsqu'elle est allée s'expliquer devant la chambre des communes. Ses anciens alliés ont tiré à boulets rouges contre elle, et il a fallu attendre une heure de prise de parole pour qu'un parlementaire conservateur soutienne (enfin) son projet d'accord.

Pour compenser ces pertes, la cheffe du gouvernement va devoir ratisser large, en allant convaincre plusieurs dizaines d'élus travaillistes. Ce qui ne sera pas une mince affaire. Parmi eux, les opposants au Brexit préfèreraient un second référendum, les partisans s'élèvent contre un accord qu'ils jugent défavorable au Royaume-Uni.

Dans son gouvernement, les démissions s'enchaînent

Peu soutenue au Parlement, Theresa May l'est également de moins en moins au sein de son propre gouvernement. Jeudi, quatre ministres et secrétaires d'État ont claqué la porte : Shailesh Vara, le secrétaire d'État à l'Irlande du Nord, Esther Mcvey, la ministre du Travail, Suella Braverman, la secrétaire d'État du Brexit et Dominic Raab, ministre du Brexit. Tous ont présenté des lettres de démissions similaires, dans lesquelles ils disent ne pas pouvoir soutenir l'accord négocié par la Première ministre britannique.

Ces démissions affaiblissent encore politiquement Theresa May, et pourraient encourager les parlementaires à déposer une motion de défiance contre elle. Ce que le député pro-Brexit conservateur Jacob Rees-Mogg a réclamé jeudi.

Pourquoi ça bloque ?

Si le projet d'accord fédère autant contre lui ceux qui sont pourtant favorables à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, c'est que ces derniers considèrent que Theresa May a fait trop de concessions aux 27. Le principal point de blocage est la solution trouvée pour la frontière entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande. Pour éviter qu'elle ne soit rétablie, l'Union européenne et le Royaume-Unis se sont mis d'accord sur un "backstop", un "filet de sécurité" qui maintient le second dans une union douanière avec la première. Ce "backstop" entrera en vigueur après la période de transition post-Brexit de 21 mois si aucun accord sur la future relation entre l'Union européenne et le Royaume-Uni n'est trouvé.

Autrement dit, même après la période de transition, il est possible que le Royaume-Uni reste dans une union douanière avec l'UE. Il sera donc soumis à des règles, sans pour autant être dans les processus de décision. Ce qui ne plaît pas à grand monde. "Cet accord n'est pas un compromis, c'est une capitulation !", s'est agacé l'ancien Premier ministre Tony Blair, résumant le sentiment de beaucoup. "L'accord de retrait de l'UE nous maintiendra lié à la politique commerciale de l'UE, jusqu'à ce que la fin soit déterminée par un consentement commun. En d'autres mots, l'UE dispose d'un veto !" Pour Dominic Raab, "aucune nation démocratique n'a jamais consenti à être liée par un régime si extensif, imposé de l'extérieur sans aucun contrôle démocratique sur les lois qui seront appliquées".

Comment Theresa May pourrait-elle s'en sortir ?

Si cela semble (très) compliqué pour Theresa May, tout n'est pas encore perdu. La Première ministre peut activer un levier : la peur d'une solution qui serait encore pire. Certains parlementaires anti-Brexit craignent une sortie de l'Union européenne sans accord, tandis que les "Brexiters" voient d'un très mauvais œil l'organisation d'un nouveau référendum.

Theresa May a essayé jeudi de pousser au maximum son seul avantage. "Le choix est clair", a-t-elle déclaré devant les parlementaires. "Nous pouvons choisir de partir sans accord, risquer qu'il n'y ait pas de Brexit du tout [avec un nouveau référendum], ou choisir de nous unir et soutenir le meilleur accord que nous pouvions négocier, [celui-là]." Tout en reconnaissant que son projet n'est pas idéal, elle estime donc qu'il est optimal. "Je crois, avec chaque fibre de mon être, que le chemin que j'ai suivi est le meilleur pour mon pays", a-t-elle renchéri dans la soirée lors d'une conférence de presse.

La cheffe du gouvernement britannique tente une nouvelle fois de jouer une carte qui lui a déjà permis de gagner toutes les manches précédentes. Maintes fois annoncée sur le départ car lâchée par tous, Theresa May a pour l'instant toujours réussi à rester. Souvent grâce à cette même peur du manque d'alternative.