"Ça s'est fait de façon très spontanée. J'ai vu diverses initiatives sur Internet et j'ai réalisé que j'avais quelque chose à offrir : pas trop important au niveau matériel, mais assez symbolique." À l'image d'Horia Georgescu, 33 ans, de nombreux Roumains ont investi les rues de leurs villes, ces huit derniers jours, manifestant d'abord pour défendre la justice anticorruption, puis réclamant la démission du gouvernement. Zoom sur un mouvement sans précédent, soutenu par Bruxelles.
Comment est née la mobilisation ?
La contestation est partie d'un décret adopté dans l'urgence, le 31 janvier au soir. Sans consulter le Parlement, le gouvernement a validé un texte rendant l'abus de pouvoir passible d'une peine de prison uniquement en cas de préjudice supérieur à 44.000 euros. Il devait notamment permettre au chef du Parti social-démocrate (PSD), Liviu Dragnea, d'échapper au principal chef d'accusation le visant dans un procès portant sur des emplois fictifs. Dans ce dossier, le préjudice est estimé à 24.000 euros. La Commission européenne a immédiatement exprimé sa "grande préoccupation" face à cette "défaite" de la lutte contre la corruption.
Quel est le nombre de manifestants ?
La première manifestation a eu lieu dimanche 29 janvier, la population tentant de pousser le gouvernement à renoncer à sa mesure. Une fois le décret adopté, la mobilisation n'a cessé de s'accroître. Le 31 au soir, 10.000 personnes se sont ainsi réunies à Bucarest, devant le siège du gouvernement. Des protestations ont également été organisées dans les villes de Cluj, au nord-ouest, de Sibiu, dans le centre, de Timisoara, à l'ouest et d'Iasi, au nord-est.
Le 1er février, les manifestations ont atteint une ampleur inédite depuis la chute du communisme en Roumanie. Au moins 200.000 personnes se sont réunies à travers le pays, dont la moitié dans la capitale. Ce niveau de mobilisation s'est ensuite maintenu chaque soir jusqu'à dimanche, lorsqu'un nouveau record a été établi, avec 500.000 manifestants.
Pourquoi ce sujet est-il si sensible ?
Tout comme la Bulgarie, la Roumanie a rejoint l'Union européenne en 2007 contre la promesse de tout faire pour s'aligner sur les normes de l'UE en matière de justice, d'État de droit et de lutte contre la corruption. Les deux pays sont les seuls à faire l'objet d'une évaluation annuelle de Bruxelles sur ces questions. En 2016, celle-ci a été plutôt élogieuse, la Commission européenne soulevant la "tendance positive affichée par la Roumanie et ses habitants en matière de lutte contre la corruption et de protection de l'indépendance du système judiciaire ces trois dernières années."
Et pour cause : en quelques années, le pays s'est doté d'un arsenal de pointe en la matière, dont l'épicentre est le parquet national anticorruption (DNA) et sa centaine de procureurs qui enquêtent, arrêtent et mettent en examen en revendiquant leur indépendance à l'égard des pressions politiques. Pour la seule année 2015, 27 hauts responsables, dont le Premier ministre social-démocrate Victor Ponta, alors en fonction, ont été renvoyées devant la justice. Dans ce contexte de progrès, le décret adopté par le gouvernement a donc été vu par la population comme un retour en arrière inquiétant.
Comment a réagi le gouvernement ?
Lors des premiers jours de manifestations, le gouvernement roumain s'est montré inflexible, défendant bec et ongle son décret. "Nous avons pris une décision et nous allons de l'avant", avait notamment assuré le Premier ministre Sorin Grindeanu, le 2 février, justifiant son texte par la nécessité de désengorger les prisons et de mettre en conformité le code pénal. Le même jour, un ministre favorable à la cause des manifestants a choisi de démissionner.
Mais face à l'ampleur de la mobilisation, l'exécutif a été contraint de faire volte-face. Samedi 5 février, le gouvernement s'est d'abord dit prêt à des concessions sur le décret contesté. Puis, dimanche, le texte a finalement été abrogé.
Pourquoi le mouvement perdure-t-il ?
Mais ce retrait tardif n'a pas suffi à calmer la foule. "Démission" ou "Voleurs", criaient notamment les manifestants devant le siège du gouvernement, dimanche soir. Malgré le nombre record de protestataires, Sorin Grindeanu a exclu de démissionner, assurant "avoir une responsabilité envers les Roumains" qui ont voté massivement pour son parti aux législatives du 11 décembre. Le gouvernement n'a "aucune raison de démissionner", a également martelé le chef du PSD, Liviu Dragnea.
Si la gronde persiste, le gouvernement pourrait-il plier une deuxième fois ? Le président roumain, de centre droit, l'a suggéré, mardi, jugeant que la solution de la crise se trouvait "à l'intérieur" de la majorité de gauche et appelant implicitement à la nomination d'un nouvel exécutif.