C’est une vidéo édifiante de 15 minutes qui illustre le quotidien des Ouïghours. Le Monde a publié la semaine dernière une enquête sur cette minorité musulmane sévèrement réprimée par les autorités chinoises dans le Xinjiang, dans le nord-ouest du pays. Malgré la censure et la chape de plomb imposées par le régime communiste, les journalistes du quotidien ont réussi à récolter de nombreuses preuves de ce système concentrationnaire dénoncé par de nombreux médias, ONG et même l’ONU.
Une enquête réalisée entièrement grâce à des données disponibles sur Internet à partir de ce qu’on appelle le Roso, le renseignement en sources ouvertes, comme les médias, les publications sur les réseaux sociaux ou les images satellites. Charles-Henry Groult, chef du service vidéo du Monde, a expliqué lundi matin sur Europe 1 les coulisses de ce travail aussi fastidieux que passionnant.
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Des images satellite de centres d’internement
Selon les organisations de défense des droits de l’Homme, la Chine détiendrait arbitrairement plus d’un million de musulmans dans des "camps de rééducation". Pékin, qui nie ces accusations, parle de "centres de formation professionnelle" destinés à éloigner la population de l’extrémisme religieux. Pour obtenir des preuves de ce système concentrationnaire, les journalistes du Monde ont croisé de nombreuses sources afin de contourner la censure des autorités chinoises.
"On a confirmé les intuitions des premières informations déjà établies par des médias, des ONG ou des chercheurs. On a découvert des preuves indubitables d’une répression massive des Ouïghours en Chine en géolocalisant des camps d’internement à partir d’images satellite", raconte Charles-Henry Groult. Dans cette enquête, plusieurs centres d’internement recevant des milliers de prisonniers sont ainsi mis en évidence.
"On a ensuite croisé ces images satellite avec des vidéos ou des images récoltées sur les réseaux sociaux, par exemple des Ouïghours ou des policiers chinois qui sont déplacés pour travailler dans le Xinjiang. Pour vérifier que ces images sont vraies, on les a recoupées avec d’autres sources. Quand dans une image vous voyez un camp avec au loin une tour de guet et une montagne, vous allez chercher des images satellite pour vérifier que ce soit bien vrai", illustre-t-il.
"On a surtout travaillé avec des satellites européens et américains. Aujourd’hui on peut faire appel gratuitement à Google Maps par exemple pour obtenir des images satellite. On peut aussi payer quelques dizaines d’euros des entreprises pour avoir des images satellite de certaines portions du territoire chinois", précise le journaliste.
Des vidéos de jeunes Ouïghours publiés sur les réseaux sociaux
L’équipe du Monde a travaillé grâce à ce qu’on appelle le Roso : le renseignement en sources ouvertes. Il s’agit de données disponibles en ligne, comme les médias officiels chinois ou encore les publications sur les réseaux sociaux. "Sur Internet il y a des milliards de vraies données, de vraies images qui racontent plein de choses. On a moyen de raconter tout un tas de choses via Internet", abonde Charles-Henry Groult. Les journalistes ont notamment utilisé une vidéo tournée dans le sud-ouest du Xinjiang par un jeune Ouïghour et publiée sur le TikTok chinois. Dans cette séquence, plusieurs dizaines de jeunes attendent leur transfert vers un centre d’internement, sous le regard de policiers locaux.
"Des milliers d’Ouïghours sont déportés officiellement pour insérer et lutter contre la pauvreté des jeunes. Ces jeunes doivent quitter leur famille pour aller travailler dans des champs de coton ou des entreprises. 85% du coton chinois, soit 20% du coton mondial, est récolté dans le Xinjiang", précise Charles-Henry Groult.
Un travail fastidieux et chronophage
L’enquête publiée par le quotidien est l’aboutissement d’un travail de recherche de plus de deux mois. "Il n’y a pas besoin de matériel invraisemblable mais ça prend du temps", résume le journaliste. "Il faut passer des heures à se demander ce que veut dire telle inscription en chinois ou en ouïghour, vérifier la couleur de l’uniforme de tel policier pour savoir si c’est bien authentique et actuel. Les images peuvent mentir, donc si on veut prouver quelque chose il faut être sûr que les images sont véridiques."
Les journalistes ont également été aidés par des traducteurs et les correspondants du Monde en Chine. Mais travailler sur le sujet reste hautement sensible. "La censure est très forte, le travail n’était pas facile. C’est très difficile de s’exprimer aujourd’hui sur les réseaux sociaux chinois pour parler de ces problèmes liés aux Ouïghours. C’est impossible par exemple de l’évoquer sur le TikTok chinois. On a dû travailler sur des gens qui ne disaient pas directement vivre du travail forcé, mais par ce qu’ils racontent de leur vie et donnent des indications."