"Ele não !" ("lui, non !") C'est avec ce slogan que les opposants à Jair Bolsonaro manifestaient pendant la campagne présidentielle brésilienne. Ancien militaire, homophobe, machiste et raciste, celui qui a remporté l'élection le 28 octobre crispe une partie la classe politique et de la population. A quelques jours de son investiture, les préparatifs s'intensifient. D'un côté, ses ministres et son administration annoncent leurs mesures ; de l'autre, ses adversaires anticipent certaines réformes annoncées dans le programme du candidat.
Les ministres se réunissent
Il y a une semaine, le président élu a convoqué pour la première fois ses futurs membres du gouvernement à Brasilia, la capitale, pour définir les grandes lignes du début de son mandat. Sur 22 ministres, on compte seulement deux femmes et sept militaires. Parmi eux, le juge Sergio Moro, nommé ministre de la Justice et de la Sécurité publique, est très critiqué. C’est lui qui avait condamné l'ancien président socialiste Lula à de la prison pour corruption. Un acte "politique" selon ses opposants. Cette nomination controversée vient renforcer l'idée que Bolsonaro préparerait une chasse aux sorcières parmi les militants de gauche.
Les élèves incités à surveiller leurs enseignants
Dans les écoles, on s’inquiète des conséquences des déclarations de Jair Bolsonaro, qui ne cache pas son scepticisme à l’égard des programmes scolaires mis en place sous Lula. Le nouveau président propose de fait un retour à l’"ordre moral". "Les programmes scolaires et les méthodes d’enseignement doivent changer. Avec plus de mathématiques, plus de sciences et de portugais. Sans endoctrinement ni sexualisation précoce" expliquait le candidat dans son programme présidentiel. Il avait alors attribué à son rival socialiste, Fernando Haddad, la mise en place dans les écoles d'un "kit gay". Il s'agissait en fait d'un projet de la campagne d'éducation sexuelle, qui a finalement été abandonné par Haddad, ministre de l'éducation de 2006 à 2012.
Deux jours après l'élection de Bolsonaro, une députée de sa majorité, Ana Caroline Campagnolo, avait lancé un appel sur Facebook pour encourager les collégiens et lycéens à dénoncer leurs professeurs qui exprimeraient "des positions politiques, partisanes ou idéologiques". Une façon de museler l'opposition et d'avoir un œil sur les enseignants, puisque les élèves sont invités à "poster ces vidéos sur les réseaux sociaux".
Et certains élèves n'hésitent pas à suivre ces instructions. Jam Silva Santos, un professeur d'histoire du collège Santa Cecilia au nord-est du pays, explique à France 24 qu'il s'est fait filmer par un élève alors qu'il montrait un film à sa classe sur les crimes commis par la dictature militaire brésilienne, époque sanglante de l'histoire du pays dont Bolsonaro se dit "nostalgique". Il s’est ensuite fait prendre à partie sur les réseaux sociaux pour ses choix d’enseignement. Le syndicat des enseignants de l'Etat Ceara a relevé plusieurs cas d'incitation à la haine envers des professeurs sur les réseaux sociaux, accusés "d'endoctrinement idéologique" des élèves, explique le journaliste de France 24.
Une fronde au Parlement
Par ailleurs, une alliance politique de gauche commence à se constituer au Parlement de Brasilia. Les partis socialiste, démocratie travailliste et communiste ont annoncé la création d'une union des gauches pour créer un "bloc anti-Bolsonaro", rapporte une journaliste de France 24. Ils laissent de côté le Parti des Travailleurs de Lula, au gouvernement depuis 2003 mais empêtré dans des scandales de corruptions. Cette fronde parlementaire rassemble 69 députés, plus que les 52 députés du PSL, le parti de Bolsonaro. Pour espérer former une opposition efficace, "il faudra que l’opposition s'adapte et parle la langue du PSL, comme les démocrates avec Donald Trump. Une langue moins bureaucratique, plus directe. Ça ne leur fera pas de mal", assure le politologue brésilien Sergio Praça à la journaliste de France 24.
Recrudescence des mariages homosexuels et des cours d'autodéfense
L'incertitude grandit au sein de la communauté LGBT depuis l’élection de Bolsonaro et la nomination de Damara Alves, future ministre de la Femme, de la Famille et des Droits de l'homme. Cette dernière exprime en effet ouvertement ses positions contre l'avortement et le mariage homosexuel.
La minorité LGBT, historiquement puissante au Brésil, se prépare ainsi à l'arrivée d'un gouvernement homophobe. Face à la menace d'une abrogation de la loi votée par la Cour suprême en 2013 autorisant le mariage homosexuel, le nombre d’unions de personnes de même sexe a explosé depuis octobre, comme l'a remarqué l'association des notaires de Sao Paulo, interrogé par un journaliste pour RFI. Pour célébrer ces centaines de mariages dans l'urgence, des bénévoles se mobilisent dans les associations LGBT et sur les réseaux sociaux. Réunir des fonds, organiser la cérémonie, payer les frais de mariage… tout est prévu pour faciliter et surtout, accélérer l’union de ces Brésiliens, avant l'investiture de Bolsonaro. Des dizaines de transgenres sont également accompagnés par ces associations pour rapidement changer d'identité, une démarche faisable mais très compliquée sur le plan administratif, conclut le journaliste sur RFI.
Les crispations à l'encontre des homosexuels ces derniers mois leur font craindre le pire. Depuis fin octobre, la communauté LGBT évite certains quartiers de Sao Paulo ou de Rio, où se tenir la main dans la rue est presque devenu dangereux, explique la correspondante au Brésil de RFI. Cette violence généralisée au sein de la société brésilienne touche également les femmes. Elles se préparent d'une façon plus incongrue à l'arrivée de Bolsonaro. A Rio, une association organise régulièrement des cours d'autodéfense qui permettent d'apprendre à réagir en cas d'agressions dans la rue ou dans les transports. Depuis un mois, ils affichent complets.
En 2014, alors qu’il était député, le futur président se vantait d'avoir un jour dit à une femme qu'elle n'était pas "violable" à ses yeux car "trop laide".
Une investiture en grandes pompes
Entre 250.000 et 500.000 personnes sont attendues à Brasilia, capitale du Brésil, le 1er janvier prochain. Pas pour fêter le Nouvel an mais bien pour voir leur nouveau président investir le pouvoir. Jair Bolsonaro a remporté 55.1% des suffrages lors de l'élection présidentielle d'octobre dernier.
Une délégation de représentants de régimes étrangers est également attendue dans la capitale brésilienne. Pour les Etats-Unis, Donald Trump a annoncé qu'il enverrait son secrétaire d'Etat, Mike Pompeo, cet ancien militaire à la ligne politique proche des idées de Bolsonaro.