L'équilibre ne devrait plus durer que quelques heures. Composée de quatre juges conservateurs et quatre juges progressistes depuis le décès d'Antonin Scalia, en février 2016, la Cour suprême américaine s'apprête à accueillir un nouveau membre, qui devrait donner un avantage au premier camp. Comme le prévoit la Constitution, c'est le président des États-Unis qui doit désigner ce magistrat, avant que son nom ne soit validé par un vote du Sénat. Pour ce faire, il doit recueillir un minimum de 60 voix sur 100 sénateurs. Depuis huit mois, la chambre, à majorité républicaine refuse obstinément d'adouber le progressiste Merrick Garland, choisi par Barack Obama. Mardi soir à 20 heures à Washington (2 heures à Paris), c'est donc Donald Trump qui nommera un autre juge, conservateur et susceptible, donc, de faire basculer la plus haute juridiction des Etats-Unis sur des sujets comme l'avortement, la peine de mort ou l'usage des armes à feu. Selon les experts, il y a trois finalistes.
Thomas Hardiman, le plus modéré
C'est le plus modéré des trois hommes encore en lice, alors qu'une première liste établie par Donald Trump comportait 21 noms, dont cinq femmes. Thomas Hardiman, 51 ans et membre du parti républicain depuis 1994, fait figure de favori aux yeux de nombreux médias américains. Juge à la cour d'appel fédérale de Pittsburgh, en Pennsylvanie, l'homme bénéficie en effet d'un soutien de poids : un proche du président américain a affirmé au site Politico que Maryanne Trump Barry, juge et soeur du président des États-Unis roulait "à fond pour Hardiman".
En Pennsylvanie, le magistrat est notamment connu pour un arrêt interdisant aux citoyens de filmer les policiers, perçu par les démocrates comme une interdiction de rendre compte d'éventuelles "bavures" des forces de l'ordre. Il s'est également prononcé à plusieurs reprises pour les fouilles intégrales des détenus avant leur admission en prison. Thomas Hardiman a également rendu une majorité de décisions défavorables à des détenus se trouvant dans les couloirs de la mort, confirmant leur condamnation à la peine capitale.
Malgré ces positions, une partie des républicains se demande encore si le protégé de Maryanne Trump Barry est assez conservateur pour succéder au traditionnaliste juge Scalia. Sur les réseaux sociaux, Thomas Hardiman est déjà surnommé "David Souter 2.0", en référence à un juge nommé par George H. W. Bush en 1990. Engagé au parti républicain, David Souter avait évolué vers des positions progressistes, finissant par se prononcer pour le maintien du droit à l'avortement.
Neil Gorsuch, le plus fidèle
Si Donald Trump veut nommer un homme aux positions comparables à celles d'Antonin Scalia, Neil Gorsuch pourrait tirer son épingle du jeu. À 49 ans, le magistrat à la cour d'appel fédérale de Denver, dans le Colorado, a rendu de multiples hommages publics au juge décédé en 2016, jugeant qu'il avait passé sa carrière a "rappeler la différence entre la justice et la loi".
Comme Scalia, Gorsuch est un fervent partisan de l''originalisme", un courant d'interprétation des termes de la Constitution selon le sens qu'ils avaient à l'époque de sa rédaction. Lorsque Barack Obama était président des Etats-Unis, il s'est fait connaître en obtenant plusieurs décisions favorables à des chefs d'entreprises refusant de rembourser certains moyens de contraception, comme le stérilet ou la pilule du lendemain, au nom de leurs opinions religieuses. Sur des sujets comme le port d'armes et l'avortement, Neil Gorsuch a en outre plusieurs fois exprimé des positions comparables à celles de Donald Trump - sans jamais avoir à rendre de décision concernant l'avortement.
Le juge du Colorado s'est-il montré trop critique de l'Obamacare pour obtenir les 60 votes au Sénat, seuls 52 sièges y étant occupés par les Républicains ? Le chef des Sénateurs démocrates, Chuck Schumer, a récemment promis de s'opposer "bec et ongles" à un choix qu'il jugerait inacceptable. Si Neil Gorsuch était choisi, son mandat pourrait en tout cas être aussi long que celui de son mentor, décédé à l'âge de 80 ans après vingt ans d'exercice. Les membres de la Cour suprême sont en effet nommés à vie.
William Pryor, le plus "pro-vie"
Mais le troisième candidat "short listé" est, sans aucun doute, celui dont la nomination ferait le plus débattre au Sénat. Résolument conservateur, William Pryor, 54 ans et juge fédéral dans l'Alabama, a toujours exprimé ses opinions avec nettement plus de violence que ses deux concurrents, qualifiant par exemple l'arrêt de la Cour suprême garantissant le droit à l'avortement d'"abomination".
Lors d'un récent débat présidentiel, Donald Trump avait affirmé qu'avec les juges qu'il nommerait, la Cour pourrait, à terme, "automatiquement" annuler l'arrêt en question, baptisé "Roe v. Wade". Ce jugement historique fait constamment l'objet d'assauts répétés de la part des "pro-vie" américains, qui s'opposent aux "pro-choix", partisans du droit des femmes à choisir leur contraception et un éventuel avortement. En 2004, les démocrates avaient déjà bloqué la nomination de William Pryor à la cour d'appel d'Alabama, invoquant ses positions sur ce sujet.
Un autre élément pourrait créer la polémique si le juge "pro-vie" était choisi : selon Politico, William Prayor s'est prononcé, aux côtés de ses pairs, en faveur de la protection des droits des personnes transgenres sur leur lieu de travail, s'attirant les foudres de plusieurs membres du parti républicain. S'il semblait tout en haut de la liste pendant la campagne - Donald Trump avait même évoqué son nom lors d'un débat -, le magistrat de l'Alabama pourrait devoir attendre son tour : étant donné l'âge avancé de certains des juges actuels de la Cour suprême, le président républicain pourrait en effet être amené à remplacer, durant son mandat, non pas un mais plusieurs des membres de la vénérable institution.