Quelques mois seulement après le début de sa présidence, Donald Trump doit faire face à la fusillade la plus meurtrière de l'histoire moderne américaine. Dimanche soir, un sexagénaire armé d'un fusil d'assaut et dont les motivations restent inconnues à ce stade a mitraillé les spectateurs d'un concert en plein air à Las Vegas, tuant au moins 59 personnes et en blessant des centaines d'autres. "Un malade, un fou", s'est contenté de commenter le président de la première puissance mondiale, restant muet sur la question des armes à feu, qui ont fait plus de 11.000 morts depuis le 1er janvier dans son pays.
Ses adversaires politiques n'ont, eux, pas traîné à s'emparer du débat. "Il y a toujours des tireurs avec des histoires et des motivations différentes, leur point commun tragique est d'avoir entre les mains des armes puissantes", a souligné Ben Rhodes, ancien conseiller de Barack Obama. "Notre chagrin n'est pas suffisant. Nous pouvons et devons mettre la politique de côté (...) et essayer de travailler ensemble pour que cela n'arrive plus", a renchéri l'ancienne candidate à la présidence Hillary Clinton sur Twitter. Une indignation qui a peu de chances de faire bouger les lignes selon Jean-Eric Branaa, spécialiste des États-Unis.
Après cette fusillade, comment expliquer le silence de Donald Trump sur les armes à feu ?
Donald Trump s'est toujours montré favorable à une application stricte du Deuxième amendement de la Constitution (qui dispose qu'il "ne pourra être porté atteinte au droit du peuple de détenir et porter des armes", ndlr). Avant l'élection présidentielle, il a mené une campagne extrêmement virulente contre Obama et ses prédécesseurs, les présentant comme des présidents "faibles" et "laxistes" et promettant de changer les choses. Depuis qu'il est président, les moyens de la police intérieure mais aussi extérieure ont été renforcés, notamment avec le "muslim ban". L'idée c'était : "on va laisser les terroristes à la porte". Sa base y a cru, c'est aussi pour ça qu'elle a voté pour lui.
Pendant six mois, cette base a eu l'impression d'une certaine tranquillité - il faut rappeler que 27 fusillades s'étaient produites sous l'ère Obama, à des intervalles beaucoup plus rapprochés. Et puis, avec le drame de Las Vegas, la réalité a rattrapé Donald Trump. C'est probablement pour cela qu'il a tenu un discours très minimaliste, qui tranche avec ses longues diatribes garantissant la sécurité pour tous.
Des voix se font pourtant entendre pour un encadrement du droit à posséder des armes…
Il faut être clair : le débat ne porte pas sur la possession des armes en elle-même, mais sur le droit pour tous d'acquérir des machines automatiques, dont on sait qu'elles peuvent faire énormément de victimes. C'est difficile à comprendre pour les Français parce que, culturellement, nous rejetons les armes en bloc, sauf pour la police. Là bas, le rapport est tout à fait différent : la NRA (National Rifle Association, la plus grande organisation du lobby des armes à feu aux Etats-Unis, ndlr) compte 5 millions d'individus et la chasse est un sport national, dans tous les grands espaces qu'offre le territoire. Des événements comme cette fusillade donnent l'occasion aux démocrates et aux progressistes de reprendre la parole, mais seulement pour préciser les conditions d'acquisition de ces armes, certainement pas les interdire.
Peut-on alors envisager qu'un contrôle plus strict soit mis en place ?
Non. La voie politique est bouchée : pour modifier le Deuxième amendement, il faudrait un vote des deux tiers de chaque chambre, puis une ratification par les trois quarts des États, soit une unité quasi-totale du pays sur le sujet, ce qui est impensable. Selon une étude du Pew Research Center rendue publique hier, donc après Las Vegas, seuls 17% des Républicains sont favorables à une régulation. Cela ne s'annonce pas mieux via la voie juridique : les cours de justice vont toujours dans le sens de l'application la plus stricte du droit à posséder une arme, et la Cour Suprême est de plus en plus conservatrice. Plusieurs de ses prochains membres pourraient en outre être nommés par Donald Trump.
On a vu par le passé que l'émotion ne se traduisait pas en actes : on se souvient de la tuerie de Sandy Hook (perpétrée dans une école américaine en 2012, ndlr) et des corps des vingt enfants décédés, sortis par les secours un à un. L'émotion atteignait des sommets, on a remis le débat sur la table, mais rien n'a changé. Las Vegas non plus ne changera rien.