Deux jours après son entrée en vigueur, le décret anti-immigrés de Donald Trump a conduit à une situation relativement chaotique dans les aéroports du monde entier. Le nouveau président américain a signé vendredi un décret qui interdit aux ressortissants de sept pays musulmans de venir aux Etats-Unis. Parmi eux, des détenteurs d'un permis de séjour permanent. Des centaines de personnes se sont ainsi retrouvées bloquées dans les aéroports, voire refoulées dans leur pays d'origine. Des associations et des ministres de la Justice d'Etats fédérés, tout comme des milliers d'Américains qui ont manifesté ce week-end, dénoncent un décret inconstitutionnel, alors que l’administration Trump défend un texte utile pour lutter contre le terrorisme. Europe1.fr fait le point sur ce décret polémique et la situation des dernières 48 heures.
- Qui est concerné ?
Les ressortissants de l’Iran, l’Irak, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen sont interdits d’entrée sur le territoire américain pendant trois mois. Le décret concerne ainsi potentiellement plus de 209 millions de personnes. D’autre part, tous les réfugiés, quelle que soit leur nationalité, sont interdits de territoire pendant quatre mois. Enfin, tous les Syriens sont interdits d’entrer sur le territoire américain jusqu’à nouvel ordre.
La situation des binationaux reste floue. Les autorités américaines ont affirmé samedi que les citoyens américains qui possèdent également un passeport de l'un des sept pays ne sont pas concernés. En revanche, pour les binationaux d'autres pays, c'est la nationalité de l'un des Etats visés qui primera et ils se verront interdire l'accès au territoire américain. Interrogée sur le choix des sept pays et l'absence de l'Arabie saoudite, de l'Afghanistan, du Pakistan ou encore de l'Egypte, l’administration américaine a évoqué la possibilité d’allonger à l'avenir la liste des pays concernés par le décret.
- Des exemptions pour la Grande-Bretagne et le Canada
La Grande-Bretagne et le Canada ont obtenu dimanche des autorités américaines une exemption pour leurs citoyens qui possèdent également la nationalité d'un des sept pays visés par le décret. Les binationaux venant de l'un de ces sept pays, "par exemple un Britannico-libyen se rendant aux Etats-Unis depuis la Libye", seront toutefois susceptibles d'être soumis à des vérifications supplémentaires, selon le ministre des Affaires étrangères britannique. Un parlementaire britannique du parti conservateur, né en Irak et détenant la double nationalité, avait indiqué samedi sur Twitter qu’il avait eu confirmation que le décret s’appliquera bien à lui, avant l'exemption obtenue. D'autres capitales sont entrées dans des discussions avec Washington pour obtenir des clarifications et des exemptions, ainsi que l'Union européenne.
I'm a British citizen & so proud to have been welcomed to this country. Sad to hear ill be banned from the USA based on my country of birth
— Nadhim Zahawi (@nadhimzahawi) 28 janvier 2017
- Des centaines de personnes refoulées et arrêtées ce week-end
Deux jours après la signature du décret, des centaines de personnes ont été arrêtées ou expulsées à leur arrivée dans les aéroports américains, quand d’autres ont été interdites d’embarquer sur des vols à destination des Etats-Unis. L’application du décret a en effet surpris de nombreux voyageurs déjà dans l’avion au moment de l’entrée en vigueur du texte. Ainsi, au moins 109 personnes ont été arrêtées à leur arrivée samedi, bien qu’ayant des visas valides, dont 81 ont été libérées dimanche. Au moins 200 autres voyageurs ont été empêchés d’embarquer à destination du pays de l'oncle Sam.
Les compagnies aériennes ont dû s’adapter au nouveau décret, et parfois prendre en charge le retour de personnes refoulées à destination des Etats-Unis. Comme l’a expliqué Air France, les compagnies aériennes sont tenues de respecter la législation en vigueur. La compagnie Emirates de Dubaï a par ailleurs indiqué avoir ajusté les équipages de ses vols vers les Etats-Unis pour se conformer au décret. La confusion a également gagné les agents aéroportuaires, le décret faisant l’objet de différentes interprétations selon les aéroports ou les capitales étrangères.
LIRE AUSSI >> #MuslimBan : la mobilisation contre le décret grandit sur Internet
- Imbroglio autour de la "green card"
Les étrangers résidents permanents aux Etats-Unis, détenteurs de la "carte verte", ont dans un premier temps été concernés par le décret. Ainsi, plusieurs dizaines d’entre eux se sont retrouvés bloqués dans les aéroports américains ou étrangers. Les agents de l'immigration américains n'avaient apparemment pas tous reçus des consignes précises et harmonisées sur les détenteurs de la carte verte, qui se trouvaient alors à l'étranger. Dans les aéroports américains, des scènes de détresse avaient lieu parmi les familles attendant de retrouver leurs proches bloqués par les agents d'immigration.
La Maison-Blanche a finalement expliqué que les détenteurs de la "carte verte" devraient demander une exemption au cas par cas avant de voyager. In fine, les voyageurs qui ont demandé une exemption au décret au cours du week end l’ont tous obtenue, soit quelque 170 personnes. S’ils ne sont pas concernés par le décret, ces ressortissants étrangers doivent en revanche s'attendre à faire l'objet de contrôles renforcés à la frontière "à la discrétion" des services d'immigration.
Les Américains vent debout contre le décret
Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté samedi et dimanche à New York, Washington et dans plusieurs grandes villes des Etats-Unis pour protester contre le décret. Des rassemblements spontanés ont eu lieu dans les aéroports américains, dont celui de JF Kennedy où des voyageurs étrangers ont été bloqués pendant des heures. Les manifestants dénoncent un décret qu’ils jugent discriminatoire à l’égard des musulmans et contraire à la Constitution. Des élus démocrates se sont joints au mouvement, comme les maires de New York et Los Angeles.
Des dizaines de milliers d'Américains ont protesté dans les aéroports du pays ce week-end, comme ici à Los Angeles. Crédit : KONRAD FIEDLER / AFP
- Un décret pour "lutter contre le terrorisme"
Face à la grogne, Donald Trump s’est défendu dimanche de toute discrimination anti-musulmans. "Cela n'a rien à voir avec la religion, il s'agit de terrorisme et de la sécurité de notre pays", a-t-il fait valoir. L'administration Trump explique que ce décret vise à mettre en place une politique d’immigration pour éviter aux Etats-Unis de connaître des attentats comme ceux de Paris, Bruxelles ou Berlin. Par ce décret, la Maison-Blanche veut s'assurer que les personnes souhaitant émigrer aux Etats-Unis ne soutiennent pas "la haine, la violence, l'extrémisme", a-t-il été précisé.
LIRE AUSSI >> "Il ne s'agit pas d'une interdiction visant les musulmans", assure Donald Trump
Le président américain a rejeté lundi la faute des problèmes rencontrés dans les aéroports américains sur les milliers de manifestants qui se sont mobilisés pour le dénoncer et sur un problème d'ordinateur. "Les gros problèmes dans les aéroports ont été causés par une panne d'ordinateur de Delta, les manifestants et les larmes du sénateur Schumer (un sénateur démocrate, ndlr)", a accusé Donald Trump sur Twitter, soulignant que seulement 109 personnes avaient été arrêtées parmi les 325.000 passagers quotidiens.
Only 109 people out of 325,000 were detained and held for questioning. Big problems at airports were caused by Delta computer outage,.....
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 30 janvier 2017
protesters and the tears of Senator Schumer. Secretary Kelly said that all is going well with very few problems. MAKE AMERICA SAFE AGAIN!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 30 janvier 2017
- La légalité du décret mise en cause
Des ONG, des juristes, l'opposition démocrate et même quelques représentants républicains ont fustigé le décret présidentiel jugé contraire aux valeurs américaines et en violation du premier amendement de la Constitution qui exclut toute forme de discrimination, religieuse, ethnique ou autre. Les ministres de la Justice de seize Etats fédérés ont promis dimanche de "le combattre avec tous les moyens à leur disposition". Et dans cinq Etats, des juges fédéraux ont bloqué l’application du décret par des décisions en référé, permettant ainsi d'empêcher l’expulsion de personnes arrêtées. Les Etats de New York et de Californie examinent quant à eux les moyens de contester la légalité du décret.
Selon l’ancien conseiller juridique des services d'immigration de Barack Obama, cette disposition pourrait être inconstitutionnelle. Mais la constitutionnalité du décret n'a pas été encore tranchée, et celui-ci reste donc en vigueur. Un responsable de l'administration Trump a assuré que le décret a été rédigé au cours des derniers mois avec l'aide d'experts en immigration du Congrès, et qu'il avait été revu et approuvé par les juristes de l'administration. Mais, selon CNN, le ministère de la Justice, dont les juristes et experts constitutionnels participent habituellement à la rédaction de tout décret présidentiel, a été exclu du processus d'élaboration du décret.
Politiques et personnalités étrangères contestent le décret
Du Caire à Téhéran, les pays concernés par le décret ont exprimé leur mécontentement. Les autorités soudanaises et iraniennes ont également convoqué le représentant des intérêts américains dans leur pays pour protester contre les restrictions imposées à leurs ressortissants. L’Irak et l’Iran veulent appliquer en retour la réciprocité envers les Américains. De nombreux gouvernements étrangers et notamment européens ont vivement contesté le décret de Donald Trump. Le Canada est même allé plus loin en annonçant que le pays accueillerait tous ceux refoulés par son voisin américain. L'Onu a pour sa part dénoncé lundi un texte contraire aux droits de l'Homme. En dehors de la scène politique, de nombreuses personnalités sportives, comme le champion olympique britannico-somalien Mo Farah, ou artistiques, comme le cinéaste iranien Asghar Farhadi nommé aux Oscars, ont également dénoncé en public ce décret américain.
- Et après ?
L’application du décret doit cesser dans 120 jours pour les réfugiés et dans 90 jours pour les ressortissants des sept pays majoritairement musulmans. "Nous allons émettre à nouveau des visas à tous ces pays lorsque nous serons sûrs que nous avons mis en place les politiques les plus sûres au cours des 90 prochains jours", a assuré Donald Trump. L'administration veut revoir d’ici là les procédures d'enquête et de vérification sur les candidats à l'immigration, ainsi que les critères d'octroi de visas. Toutefois, au-delà de la période de 90 jours, les Etats-unis n'admettront sur leur sol qu'un maximum de 50.000 réfugiés en 2017, réduisant de plus de moitié la limite fixée à 110.000 par l'ancien président Obama.