Dominic Ongwen peut-il être légalement responsable de crimes "qu'il n'aurait jamais commis s'il n'avait pas d'abord été une victime ?" Résumé par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), le dilemme est au cœur du procès de l'Ougandais, qui s'est ouvert mardi à La Haye. Recruté de force par une milice sanguinaire à l'âge de dix ans, celui que l'on surnomme "la fourmi blanche" - une traduction de son nom de famille - en a aujourd'hui environ quarante, et comparaît pour 70 crimes de guerre et crimes contre l'humanité, dont il répète ne pas être responsable.
Des rites initiatiques brutaux. A la fin des années 1980, Dominic Ongwen, fils de deux professeurs, est enlevé sur le chemin de l'école dans son village de Coorom, au nord de l'Ouganda. Le chef de guerre Joseph Kony vient de créer l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), qui mêle mystique religieuse, techniques de guérilla et extrême brutalité. Le gros des troupes de la milice, qui aspire à instaurer un régime basé sur les dix commandements, est constitué d'enfants-soldats, kidnappés dès l'âge de 7 ou 8 ans. Souvent, on les force à tuer un ou plusieurs membres de leur famille, parfois à boire leur sang.
Au sein d'un groupe ainsi étoffé, Ongwen se distingue comme un soldat exemplaire. En dépit de sa jeunesse, il est repéré pour sa loyauté dans le crime, son courage au combat et ses qualités de tacticien. Le garçon monte en rang, devient chef d'une des quatre brigades de la LRA, Sinia. Malgré plusieurs insubordinations, il est toujours épargné par son chef Joseph Kony, conscient de sa bravoure et de la valeur de son expérience du combat dans le maquis.
Au moins onze enfants. Dans le "bush" du nord de l'Ouganda, "la fourmi blanche" grandit et se marie à sept reprises - au "minimum", selon les conclusions de l'enquête. Comme lui, ses épouses ont été enlevées à leurs familles très jeunes. L'une d'entre elles, affectées aux tâches ménagères, est violée pour la première fois à l'âge de dix ans. Selon des tests ADN, Dominic Ongwen est père d'au moins onze enfants.
Sur le plan militaire, l'ancien enfant-soldat continue de s'illustrer au sein de la LRA, coordonnant des opérations similaires à celle qui l'a fait prisonnier. En 2002 et 2004, il commande de terrifiantes campagnes dans les régions de Lira et Teso. Les victimes, des civils réfugiés dans des camps après de précédents massacres, sont battus, parfois tués à l'aide de couteaux ou de fusils. Certains ont les lèvres ou les oreilles coupées. Le bilan de ces tueries est estimé à 2.000 morts et 3.000 enlèvements.
Une affaire inédite. L'affaire, inédite - la CPI n'a jamais jugé un ancien enfant-soldat -, risque de faire jurisprudence. La défense de Dominic Ongwen assure que ses crimes ont été commis sous la contrainte de Joseph Kony et de ses proches conseillers. Arguant que son client "se trouvait sous la menace permanente d'une mort imminente", l'un de ses avocats évoque aussi les effets d'un potentiel syndrome de stress post-traumatique (SSPT) dû à son passé d'enfant soldat. A ces explications, l'accusation répond que le milicien a malgré tout cherché à progresser dans la hiérarchie de la LRA, commettant des crimes dans ce but. Il n'est d'ailleurs pas poursuivi pour les faits datant d'avant sa majorité.
Au premier jour du procès, mardi, Dominic Ongwen est apparu concentré, vêtu d'un costume gris clair et d'une chemise lavande, prenant des notes dans un cahier disposé devant lui. "Au nom de Dieu, je nie toutes ces accusations", a-t-il affirmé. "Elles sont contre la LRA, pas moi (...) Je ne suis pas la LRA, c'est Joseph Kony qui est le dirigeant."