Des peines de prison supplémentaires, plus lourdes encore, sont désormais prévues en Biélorussie pour quiconque participerait à des rassemblements non-autorisés. Alexandre Loukachenko, le président contesté de Biélorussie, a signé une nouvelle loi mardi dernier qui prévoit également six ans de prison pour toute activité "extrémiste", le flou étant maintenu sur la nature de ces activités. L’étau se resserre encore un peu sur le peuple biélorusse, qui s’était soulevé après la présidentielle fantoche du mois d’août 2020, et qui subit depuis une répression constante. Le 23 mai dernier, le jeune journaliste Roman Protassevitch avait été arrêté après l’atterrissage forcé de son avion à Minsk, au prétexte d’une alerte à la bombe bidon.
Le journaliste d’opposition se trouve dans la prison du KGB et son avocate peine aujourd’hui à le voir. Le 3 juin, il est réapparu dans un genre d’interview-confession particulier. "J’ai surtout compris que plusieurs des raisons pour lesquelles on critiquait Alexandre Loukachenko étaient juste des tentatives de le mettre sous pression. Et que, sous plusieurs aspects, il s’est conduit comme, excusez-moi cette expression, mais comme une personne avec des couilles d’acier." Au journaliste qui lui demande s’il a du "respect" pour le président, il répond : "Sans aucun doute."
"On ressent tout comme une blessure personnelle"
Bien sûr, personne ne croit à cette "confession", projetée sur un écran géant du centre de la capitale, et dans laquelle le jeune opposant semble renier ses dix dernières années de combat. L’opposition biélorusse en exil, ainsi que les parents du journaliste, ont immédiatement dénoncés des propos tenus sous la menace et les violences.
Sur la vidéo, il apparaît fatigué, le visage marqué. A ses poignets, on distingue des traces laissées par des menottes. Il s’agit d’ailleurs d’un grand classique du pouvoir d’Alexandre Loukachenko : des vidéos de ce type, mais plus bâclées, sur des manifestants arrêtés, circulent depuis le début du mouvement de contestation au président.
Plus que cette vidéo quasi-absurde, c’est plutôt son arrestation dans les airs qui a profondément choqué les Biélorusses. "J’ai pleuré toute la journée. Le mouvement de contestation nous a beaucoup uni, donc même si on ne connait pas la personne personnellement, ça fait beaucoup de mal. On ressent chacune de ces histoires comme une blessure personnelle, quelque chose qui menace nos vies", raconte Yana, une enseignante de Minsk, au micro d’Europe 1.
Plus le droit de sortir du pays
Beaucoup de Biélorusses ne se font plus d’illusions sur leur président. "Il s’en fout complètement des droits, de qui que ce soit. Même dans l’avion tu ne peux pas te sentir en sécurité… La situation est plus que par terre et on ne sait jusqu'où on peut descendre encore. On ne sait pas où ça va s’arrêter", estime Katya, une jeune Biélorusse qui travaille dans une entreprise privée.
Après l'arrestation, les Etats-Unis et l’Union européenne ont décrété des sanctions économiques, notamment la fermeture de l’espace aérien européen aux compagnies biélorusses. D’un côté, les Biélorusses sont plutôt contents d’avoir le soutien de la communauté internationale, du fait que l’on parle à nouveau d’eux. Mais dans le même temps, ces sanctions ont pour effet de les enfermer chez eux. "Tout ça a un fort impact émotionnel. On se sent bloqué dans le pays, on sent qu’on ne peut pas bouger, s’exprimer. C’est très frustrant… Et très déprimant", soupire Yana.
Les Biélorusses se sentent d’autant plus coincés que de nouvelles règles interdisent dorénavant aux Biélorusses de quitter leur pays, sauf s’ils ont un permis de résidence à l’étranger ou si leur départ est motivé par une urgence.
471 prisonniers politiques
Les manifestations sont aussi devenues quasi impossibles à organiser. Parfois, de petits groupes de citoyens se retrouvent tôt le matin ou tard le soir pour des rassemblements éclairs. Les images sont alors massivement diffusées sur les réseaux sociaux. Mais cela fait plusieurs mois que les manifestations de masse dans les rues ont cessé et que les rassemblements dans les quartiers ont été interdits. La répression des services de sécurité a écrasé toutes les formes de contestation. Elle touche tous ceux qui se sont exprimés pendant les premiers mois de contestation mais aussi les médias et les organisations de défenses de droits de l’homme. Le principal portail d’information, Tyt.By, a été fermé.
L'opposition, quand elle n’est pas en exil, est en prison : on compte 471 prisonniers politiques. Face à cette situation, la population se serre les coudes. Depuis que ses deux fils sont en prison, Ludmilla bénéficie d’un soutien moral et financier sans faille. "Le soutien, je le trouve à chaque coin de rue. Mes fils et leurs amis sont privés de liberté depuis déjà six mois et je reçois le soutien de la part de mes proches et de personnes inconnues. Depuis leur arrestation, tous les Biélorusses sont devenus mes fils. Tout le pays est devenu une seule famille."
Alors même si le mouvement a disparu des rues et des espaces publics, l’esprit de cette révolte est encore bien présent. "On continue d’en parler, d’ailleurs on ne parle que de ça. Chacun réalise que ces gens-là sont prêts à tuer tout le monde pour garder le pouvoir. Et pourtant personne n’a changé d’avis. Le mouvement existe toujours, mais les conversations ont lieu plutôt en famille, dans la cuisine, quand personne ne peut t’entendre", explique Yana, l’institutrice.
"En portant un drapeau, tu peux être arrêté pour 15 jours"
Il faut savoir que les policiers contrôlent n’importe qui dans la rue, peuvent vérifier les téléphones portables sans raison valable. Et s’ils y trouvent des contenus liés à l’opposition, c’est l’arrestation immédiate. Cela vaut aussi pour les personnes qui portent simplement des vêtements blancs et rouges, les couleurs de l’opposition. Ce qui était jusque-là une autre manière de résister au quotidien, regrette Katya. "En s’habillant ou en portant un drapeau, tu ne dois pas oublier que tu ne vas pas être arrêté pour quinze jours. Tu peux aller en prison pour deux ans, trois ans, quinze ans. Ta famille peut être suivie. On ne peut plus prendre cette responsabilité comme avant. Avant on pensait que quinze jours, c’est supportable. En fait ça ne l’est pas."
Aujourd’hui, Katya fait attention à tout. Quand elle sort, elle n’ose plus prendre son sac qu’elle avait cousu avec des symboles discrets de la révolution. Elle a peur pour son frère, qui continue de porter un t-shirt contestataire qui fait de lui une cible pour les policiers. Dessus, il y a un message de soutien au théâtre Kupalovski, dont le directeur, un opposant, a été arrêté au début du mouvement. "Chaque jour je me pose la question de savoir s’il est bien rentré chez lui. Il prend le vélo alors il est toujours visible pour les flics. Ça m’énerve et ça me fait peur."
Autre acte de résistance du quotidien : une chorale qui sévit dans de grands lieux publics de la ville, au sein de marchés ou sur des places. Toujours masqués, les chanteurs entonnent le "chœur des partisans", un chant de résistance, puis repartent aussi vite qu’ils sont arrivés.