L'internationale djihadiste isolée au milieu des champs de pétrole. Dans le camp de Roj, à l'extrême-nord de la Syrie, 500 familles de vingt nationalités sont rassemblées. Des femmes, capturées avec leurs enfants par les forces kurdes, lors de l'offensive victorieuse contre Daech, dans la région de Raqqa. Notre reporter Gwendoline Debono est la première journaliste à avoir pu se rendre auprès d'elles et recueillir leur parole pendant deux jours. Un reportage exceptionnel.
Prises dans une souricière. En entrant dans le camp de Roj, la multiplicité des langues que l'on entend parler est frappante. Des Allemandes, des Tunisiennes, des Françaises… La majorité d'entre elles a vécu à Raqqa, avant de passer par la prison et les interrogatoires des services américains. Certaines se sont rendues pendant l'offensive, d'autres ont été prises dans une souricière montée par la coalition. C'est le cas d'une Portugaise qu'on a rencontrée. Elle raconte avoir payé des passeurs pour rejoindre des régions sans combats, mais rien ne s'est passé comme prévu pour elle. "J'ai essayé de sortir pour aller vers Idlib, où ça ne bombardait pas. Je voulais m'installer là-bas. J'avais payé des passeurs, mais c'était des faux passeurs. Ils étaient déjà en relation avec l'YPG (les forces kurdes, ndlr). Tout mon groupe a été arrêté", témoigne-t-elle.
Un statut flou. Après la prison, toutes ont été rassemblées dans le camp de Roj, situé dans les limbes du droit international. "On ne sait même pas quel est notre statut ici. On n'est pas prisonniers, et on n'est pas non plus réfugiés", confie un groupe de Françaises au micro d'Europe 1. "Alors on fait quoi ? On reste là, toute notre vie ? On ne sait pas si nos pays vont nous reprendre ou s'ils vont nous laisser là", s'inquiètent-elles. Les communications avec l'extérieur sont soumises à conditions. "On a uniquement la possibilité de contacter nos familles. On n'a pas le droit d'avoir de contact avec nos avocats. Et c'est très restreint, car ce sont les vingt premiers qui passent le matin qui ont le droit de parler, et ça tous les cinq jours", décrivent ces Françaises.
"Où vont aller nos enfants ?" Toutes ces femmes ont des enfants. Les plus petits sont dans leurs bras, les plus grands jouent dans le sable. Conformément à la position française, le rapatriement de ces enfants leur est proposé via le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Mais elles y opposent un refus catégorique. "Je préfère qu'on me tire une balle dans la tête plutôt qu'on me retire mes enfants", lâche l'une d'elles. "Où vont aller ces enfants ? Est-ce qu'ils vont rentrer chez nos familles ou à la DDASS ? On veut savoir comment ça va se passer", s'alarme une autre. Une Française rapporte : "On a très peur des familles d'accueil. Que nos enfants soient catalogués, comme nous, et qu'ils soient maltraités." "Nous, je comprends que la France et les Français ne veuillent pas nous voir. Mais pour eux, il faut faire quelque chose, et ce n'est pas en nous les enlevant, en les arrachant de leur mère, que ça va aider. J'ai fait une connerie, je vais payer. Mais eux, c'est quoi leur tort ?", ajoute une autre.
Langues et radicalités différentes. La question du rapatriement de ces djihadistes ne fait pas consensus chez les pays concernés. Au sein du camp, entre les tentes, se jouent de multiples disputes, petites embrouilles et trahisons. Un peu comme dans le califat, seul le décor a changé. "C'est chacun pour soi et Dieu pour tous. C'est comme là-bas…", déplore une femme. "Les Turques sont avec les Turques. Les Russes avec les Russes. Chaque pays forme un clan. En plus, ce n'est pas lié qu'à des problèmes de langue. C'est l'idéologie, aussi. Certaines sont plus extrémistes que d'autres. Par exemple, nous, on ne porte pas le voile. Si on passe à côté de nous, on va nous regarder de travers, on va nous faire une réflexion. On se fait insulter de mécréants", expliquent deux anciennes de l'Etat islamique.
Des tensions et des jalousies. Dans le camp, on est vite le mécréant d'un autre, et cela confine à l’absurde. À l'image de cette femme, inscrite sur la liste américaine des terroristes les plus recherchés, qui fume en cachette de peur d’être surprise par plus radicale qu'elle. La politique des États à leur égard attise également les tensions. Depuis que cette Canadienne, rencontrée par Europe 1, sait que son pays accepte son retour, les sœurs qui patientent toujours sont devenues nettement moins fraternelles. "Les gens disent que si tu rentres chez toi, tu es un mécréant. Quand j'ai su que je pouvais rentrer, elles m'ont dit : 'Mais comment ton pays peut vouloir de toi ?' J'ai répondu : 'T'es juste jalouse parce que ton pays ne veut pas de toi !' Elles m'ont dit : 'Ferme-la !' Elles sont juste envieuses", considère-t-elle.
Pour une jeune Pakistanaise, la position de cette Canadienne est incompréhensible. Elle a rendez-vous avec la responsable du camp. Son objectif : ne jamais remettre un pied dans son pays. "Trop dangereux", dit-elle. "Le Pakistan n’est pas une démocratie".