Le groupe de Vincent Bolloré a-t-il fourni des conseils en communication bon marché ou gratuits à des politiciens africains, en échange de l'attribution de concessions portuaires dans leurs pays ? C'est la question à laquelle tente de répondre la justice française depuis près de six ans. En 2012, une enquête préliminaire a été initiée par le parquet de Paris, notamment pour des faits de "corruption d'agent public étranger". Le dossier a depuis été transféré au parquet national financier, dont les investigations progressent. Depuis mardi matin, les policiers entendent l'homme d'affaires breton en personne, dans les locaux de la police anticorruption, selon des informations révélées par Le Monde. Europe 1 fait le point sur cette affaire.
Quels sont les soupçons qui pèsent sur le groupe Bolloré ?
Les faits présumés remontent à 2010. Cette année-là, deux élections présidentielles se déroulent en Afrique de l'Ouest, respectivement en Guinée et au Togo. Dans chacun de ces pays, un candidat bénéficie des conseils en communication de Havas, filiale du groupe Bolloré. En Guinée, c'est l'ancien opposant politique Alpha Condé, prétendant à un premier mandat. Au Togo, le président Faure Eyadema, au pouvoir depuis 5 ans et briguant sa réélection. Tous deux l'emportent.
Parallèlement, une autre filiale du groupe, Bolloré Africa Logistics (alors appelée SDV), obtient la gestion de ports stratégiques dans ces deux pays. En Guinée, le port de Conakry lui est attribué quelques mois après l'élection d'Alpha Condé. Au Togo, la filiale remporte le marché peu avant la réélection d'Eyadema, fin 2009.
La concomitance intrigue, notamment dans les rangs des perdants du dossier. La compagnie Necotrans, spécialiste de la logistique portuaire en Afrique, avait signé une convention pour la gestion du terminal à conteneurs de Conakry en 2008 pour une durée de… 25 ans. Celle-ci est rompue. Au Togo, c'est la société d'un ancien associé franco-espagnol de Bolloré, Jacques Dupuydauby, qui perd l'appel d'offre au profit de SDV. L'homme d'affaires décide de porter plainte, convaincu que la présidence togolaise a été corrompue par le groupe français. Concrètement, les prestations de conseil auraient été "sous-facturées" voire offertes aux Etats africains en échange d'attributions de marchés assurées.
Qui sont les acteurs de cette corruption présumée ?
D'après Le Monde, le directeur général du groupe Bolloré, Gilles Alix, ainsi que le responsable du pôle international de Havas, Jean-Philippe Dorent, sont également en garde à vue mardi. Ce dernier, intervenu personnellement dans les activités de conseil à Alpha Condé et Faure Gnassingbé, intéresse particulièrement les enquêteurs. Les policiers travaillent aussi sur la nature de ses liens avec le dirigeant d'un autre groupe, Pefaco, spécialisé dans l'hôtellerie et les jeux, notamment en Afrique. Son dirigeant, Francis Perez, est le quatrième homme auditionné mardi selon Challenges. Les policiers ont retrouvé la trace de versements de plusieurs centaines de milliers d'euros de son compte vers celui de Jean-Philippe Dorent. Interrogé à ce sujet par Le Monde en 2016, Francis Perez a évoqué "un prêt pour une maison".
Quelles sont les preuves dont disposent les juges ?
Depuis le début de leur enquête, les magistrats ont mené des perquisitions chez Havas, puis dans les bureaux de Vincent Bolloré en personne. Les éléments découverts ont-ils conforté leurs soupçons ? Selon Challenges, des factures "adressées par Havas à Bolloré Africa Logistics pour de prétendues prestations de communication en Guinée", correspondant en fait à des dépenses destinées à la campagne d'Alpha Condé, ont été retrouvées sur place.
Dans un communiqué publié en fin de matinée, le groupe Bolloré a quant à lui "formellement" démenti avoir commis des irrégularités en Afrique. "Le lien qui tente d'être fait par certains entre l'obtention de ces concessions et les opérations de communication est dénué de tout fondement économique et révèle une méconnaissance lourde de ce secteur industriel", insiste-t-il.
Les autres "affaires" du groupe Bolloré en Afrique
La plus médiatique des autres "affaires Bolloré" a été initiée par l'homme d'affaires lui-même, contre France Télévisions. En 2016, le groupe a diffusé un reportage dans l'émission "Complément d'enquête", évoquant notamment les activités de la Socapalm, spécialisée dans l'huile de palme au Cameroun, et dont le Breton est actionnaire minoritaire. Le sujet montrait notamment le témoignage de sous-traitants, pour certains présentés comme mineurs, payés à la tâche, travaillant sans vêtements de protection et logeant dans des conditions insalubres. Estimant que la chaîne avait porté atteinte à son image, le groupe a porté plainte. Le jugement doit être rendu le 5 juin.
Fin 2017, le nom de l'homme d'affaires français a aussi été cité lors d'un procès à Eseka, au centre du Cameroun. Dans cette ville, une catastrophe ferroviaire a fait 79 morts et 600 blessés en octobre 2016. La compagnie Camrail, jugée pour négligence, avait pour actionnaire majoritaire le groupe Bolloré, omniprésent sur le continent via ses multiples filiales.