Épreuve de force, ou tour de chauffe en vue de plus durs bras de fer à venir ? Le président ultralibéral argentin Javier Milei fait face mercredi à sa première contestation d'ampleur, grève générale et manifestation, au moment où son ardeur dérégulatrice connaît quelques écueils. Des milliers, sans doute des dizaines de milliers de manifestants sont attendus au cœur de Buenos Aires pour un rassemblement à l'initiative du géant syndical CGT (7 millions d'affiliés revendiqués). Centrale d'obédience péroniste (le précédent gouvernement), à laquelle se sont joints d'autres syndicats, des mouvements de gauche radicale et organisations sociales.
Des rassemblements solidaires à Paris
Des manifestations sont prévues dans plusieurs villes d'Argentine, et des appels à rassemblements de solidarité ont aussi été lancés dans des capitales étrangères : Madrid, Paris, Bruxelles notamment. Après un mois et demi de présidence Milei, et une avalanche de projets de loi dérégulateurs, une dévaluation de 54% et des mesures d'austérité effectives ou planifiées tous azimuts, "les gens sont en colère (...) personne ne peut le nier", a lancé le secrétaire général de la CGT Hector Daer. Pour qui le ras-le-bol "dépasse" de loin le monde ouvrier.
Cette grève sert "à montrer au monde que le peuple argentin ne se tait pas", a déclaré Estella de Carlotto, présidente emblématique des Grands-mères de la Place de mai, qui a appelé à se joindre au rassemblement contre ce président "qui veut vendre tout le pays".
211% d'inflation annuelle
Le point focal du rassemblement dans la capitale est la place du Parlement, à l'heure où les députés examinent le vaste train de réformes dit "Loi omnibus" - plus de 600 dispositions - que l'exécutif peine à faire avancer en commissions. Pour le gouvernement, l'équation est simple : "il n'y a pas d'alternative" aux réformes et à l'austérité, pour apurer les comptes d'un pays structurellement endetté (déficit budgétaire à 2,9% du PIB en 2023, soit 1 point au-delà de l'objectif), et stabiliser une économie étranglée à 211% d'inflation annuelle.
La mobilisation de mercredi intervient sur fond sonore de défis et rodomontades sur l'ordre public : les syndicats annoncent une multitude "incontrôlable", qui "ne marchera pas sagement sur le trottoir", mais "pacifique". "Nous ne sommes ni des Orques (en référence aux monstres du Seigneur des Anneaux, ndlr) ni des paramilitaires", a lancé le co-dirigeant de la CGT Pablo Moyano. La ministre de la Sécurité Patricia Bullrich claironne que son récent "protocole anti-blocage" prévaudra, autorisant les forces fédérales à intervenir en cas de coupure d'un axe de circulation. Et "faisant passer la facture" de sécurité aux organisations responsables, comme elle l'avait fait lors de deux manifestations fin-décembre.
Une grève annoncée 18 jours après la prise de fonction de Milei
Le gouvernement a ironisé mardi sur des syndicats "du mauvais côté de l'Histoire", et la grève "la plus rapide de l'histoire", annoncée à peine 18 jours après la prise de fonction de Milei. Un "non-sens absolu" alors que les réformes suivent "le jeu démocratique" au Parlement. Au Parlement, le gouvernement joue contre la montre pour faire adopter sa "loi-omnibus". Mais déjà, le rapport de forces parlementaires - le parti de Milei, La Libertad Avanza n'est que la troisième force aux deux chambres - contraint l'exécutif à des compromis.
Dans les intenses tractations des derniers jours, il a ainsi proposé de retirer 141 des 664 dispositions. Ou d'en reformuler, comme sur le financement public du cinéma, devant une levée de boucliers locale et internationale, dont une pétition de réalisateurs de renom, d'Almodovar à Kaurismäki aux frères Dardenne. Les privatisations (41 entreprises d'Etat étaient initialement visées), l'indexation des retraites, la délégation de pouvoirs à l'exécutif au nom de "l'urgence économique", les ressources des provinces, sont parmi d'autres points de friction.
Sur le plan judiciaire, le "Décret de nécessité d'urgence" publié mi-décembre, qui pose le cadre général des réformes, n'est pas non plus au bout de ses peines. Il a fait l'objet de plus de 60 recours en justice invoquant son inconstitutionnalité.