Les blindés de l'armée russe n'avaient même pas encore franchi la frontière ukrainienne que l'Union européenne se livrait déjà à une première salve de sanctions. Moscou venait en effet de reconnaître l'indépendance des territoires séparatistes pro-russes de Donetsk et de Louhansk, véritable prélude au déclenchement de la guerre. En réaction, dès le 23 février 2022, l'UE décide de limiter la capacité de la Russie à accéder aux marchés des capitaux et services financiers européens. Un an plus tard, les occidentaux ont adopté au total neuf trains de sanctions visant tour à tour les transports, les banques, le pétrole ou encore l'or russe. Mais alors que Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie, pronostiquait voici un an "l'effondrement de l'économie russe" - avant de regretter ses propos par la suite - la réalité apparait bien plus nuancée.
"C'était assez osé de faire une telle prédiction", confirme auprès d'Europe 1 Sylvie Matelly, économiste et directrice adjointe de lnstitut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Sans doute Bercy n'avait-il pas imaginé que le FMI (fonds monétaire international) tablerait sur une croissance de 0,3% de l'économie russe en 2023.
La flambée du prix des hydrocarbures maintient l'économie à flot
Il faut dire que Moscou a pu compter sur des alliés de poids pour résister au cyclone. "On savait que la Chine, par exemple, avait la possibilité d'aider la Russie à contourner ces sanctions. Moscou a réussi à trouver des alternatives via d'autres partenaires", avance Sylvie Matelly, soulignant que seuls les occidentaux s'étaient alignés sur ces sanctions. De façon certes massive mais pas suffisamment pour faire véritablement plonger l'économie russe. Israël, pourtant allié historique des États-Unis, a toujours refusé de se mêler au concert des sanctions, craignant pour ses intérêts économiques. "Dans cette diplomatie où chacun joue sa propre carte et son propre intérêt, on se retrouve avec des sanctions qui ont relativement peu d'efficacité à court terme car elles sont plus faciles à contourner", fait valoir Sylvie Matelly.
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L'économiste égrène ensuite les différents leviers, activés par le Kremlin, pour contenir les effets délétères des sanctions. "La Russie a d'abord pu compter sur d'importantes réserves financières qu'elle a accumulées depuis plusieurs années. Ensuite, il y a eu la politique menée par la banque centrale avec le blocage du rouble et un système de contrôle des changes (pour prévenir une crise de la devise, Moscou a interdit de convertir du rouble en dollar, Ndlr)". Des mesures auxquelles il faut ajouter l'explosion du prix des hydrocarbures sur le marché mondial. "L'embargo sur le gaz n'a toujours pas démarré. Or l'économie russe dépend à 40% de l'exportation d'hydrocarbures. Même si la Russie en a moins exporté en 2022, cela a été largement compensé par la hausse des prix", note encore l'experte. Selon l'Agence internationale de l'énergie, Moscou a vu ses recettes gazières bondir de 80%.
Une consommation et des importations en berne
Si la Russie est donc parvenue à limiter la casse avec brio, son économie demeure fragilisée par ces sanctions successives. "En 2022, le PIB russe a reculé de 2%", rappelle Sylvie Matelly. Une contraction de l'économie, en partie liée à une consommation des ménages réduite à peau de chagrin. "C'est probablement la population sur place qui est la plus impactée car la Russie est une économie de rente, qui importe énormément. Avec les sanctions, ce n'est plus possible et cela a généré une forte inflation au début de la guerre", indique la directrice adjointe de l'IRIS.
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Par ailleurs, cette réduction drastique des importations complexifie l'approvisionnement dans certains secteurs d'activité. "On peut notamment citer les composants automobiles qui peinent parfois à arriver", illustre Sylvie Matelly. Renault et Stellantis ont en effet très rapidement annoncé leur retrait du pays, réduisant à néant l'activité pourtant florissante de leurs usines. Et si les Européens parvenaient à tirer un trait définitif sur les hydrocarbures en provenance de Moscou, l'économie russe pourrait avoir du mal à s'en relever.