La scène ressemblerait presque à un film d'espions à gros budget. Dimanche, le pouvoir biélorusse a dérouté un avion de ligne Ryanair qui effectuait un trajet entre Athènes, en Grèce, et Vilnius en Lituanie. L'appareil a été intercepté par un avion de chasse, et contraint d'atterrir à Minsk, avant que les services de renseignement ne viennent enlever un opposant politique qui se trouvait à bord, Roman Protassevitch, un jeune journaliste de 26 ans.
À bord, il était assis tout près d'Arthur, un Français. "Il était deux rangées devant moi, sur la droite, donc vraiment juste à côté. On a entendu l'annonce du pilote. Les gens ont gardé leur calme", raconte-t-il à Europe 1. "Il a commencé, dans sa langue, à essayer de négocier avec des stewards. Tout ça s'est passé très vite, en moins d'une minute. Il avait l'air vraiment affecté. Le sentiment qui en ressortait, c'était de la peur et de la colère", poursuit Arthur. "Je pense qu'il se doutait de ce qui allait arriver. Nous, on ne savait rien du tout."
La résignation de Roman Protassevitch
"Il s'est simplement tourné vers les gens, et a dit qu'il risquait la peine de mort", rapporte une autre passagère au micro d'Europe 1. "Il était très nerveux au début, mais après, quand il a compris qu'il ne pouvait rien changer, il s'est calmé et a accepté son sort", indique encore un troisième voyageur.
L'interpellation de Roman Protassevitch a eu lieu sur le tarmac. "Ils l'ont fait sortir du bus, après l'avoir déjà contrôlé une première fois. Ensuite, ils l'ont remis dans le bus, accompagné d'un policier. Arrivé à l'aéroport, au niveau du contrôle de sécurité, il a été escorté par deux ou trois personnes qui l'ont fait passer en priorité devant tout le monde. Et après, on ne l'a plus revu", conclut Arthur. D'après le patron de Ryanair, des espions du régime biélorusse, service toujours nommé KGB comme à l'époque soviétique, se trouvaient à bord de l'appareil. Ils ont aussi arrêté la compagne de l'opposant qui suit des études à Vilnius.
L'UE, prête à prendre de nouvelles sanctions contre Minsk, s'interroge sur le rôle de la Russie
Ces arrestations suscitent depuis dimanche une vaste tempête diplomatique. Toutes les capitales européennes et occidentales dénoncent un détournement ou un acte de piraterie d'État. Hasard du calendrier : les 27 chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européennes sont réunis lundi en sommet à Bruxelles. Ils devraient réfléchir à de nouvelles sanctions contre la dictature du président Loukachenko.
L'UE pourrait élargir la liste des personnalités biélorusses interdites de voyage et dont les avoirs sont gelés en Europe. Le président Loukachenko en fait déjà partie, mais les diplomates travaillent en urgence aussi sur d'autres pistes, comme interdire la compagnie aérienne nationale biélorusse en Europe, ou interdire le survol du pays aux autres compagnies aériennes. D'ailleurs, la compagnie airBaltic l'a déjà décidé. "Ce n'est pas simple de réagir si vite", rappelle le représentant d'un pays européen. "Il faut des bases juridiques, des faits avérés pour prendre des actes."
Une source haut placée précise que les Européens aimeraient aussi éclaircir le rôle des services de sécurité russes dans ce qui s'est passé. Est-ce que Vladimir Poutine a soutenu le détournement ? Lundi matin, Moscou a en tout cas jugé choquantes les accusations européennes contre Minsk.