"Combien de guerres avez-vous connu ?", "Plus de 20… On ne peut pas les compter". En 2013, au micro d'Europe 1, Kofi Annan racontait à Jean-Pierre Elkabbach les tumultes qu'a connu l'ONU au cours des années qu'il passé à sa tête. Élu deux fois à la tête des Nations unies, en 1997, puis en 2001, l'ancien secrétaire général est mort samedi, à l'âge de 80 ans. Diplomate de carrière, Kofi Annan a marqué de son empreinte les Nations unies qu'il a dirigé pendant la période troublée qui a suivi les attentats du 11-Septembre. Au moment de quitter ses fonctions en 2006, il avait évoqué ses regrets, notamment sur l'Irak et le Darfour.
La guerre en Irak, son "plus mauvais moment" à la tête de l'ONU
Kofi Annan, qui devait sa nomination aux États-Unis qui avaient mis leur veto à un second mandat de son prédécesseur, l'Égyptien Boutros Boutros-Ghali, a toutefois fait preuve d'indépendance vis à vis de Washington, lors de l'invasion de l'Irak par les Américains, en 2003. Il avait d'ailleurs irrité la Maison-Blanche en qualifiant cette invasion d'"illégale", car non entérinée par le Conseil de sécurité. Quand, en 2005 un scandale de corruption lié au programme "pétrole contre nourriture" en Irak éclaboussa Kofi Annan et son fils Kojo, certains commentateurs y virent une vengeance. Une commission d'enquête innocenta Kofi Annan mais découvrit des lacunes dans la gestion du programme : Kojo Annan était en relation avec une société suisse qui avait conclu de juteux contrats dans le cadre du programme.
Lors de sa dernière conférence de presse au moment de quitter ses fonctions, Kofi Annan avait d'ailleurs évoqué la guerre en Irak et son échec à l'empêcher comme étant son "plus mauvais moment" à la tête de l'ONU. "Tout le monde a des leçons à tirer de l'Irak", avait-il alors conclut. Samedi, l'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, dont le gouvernement était opposé à la guerre en Irak, a rendu hommage à "un leader pour la Paix". "Cet ami fidèle de Jacques Chirac avait soutenu la France dans son opposition à l'intervention américaine en Irak", a rappelé Jean-Pierre Raffarin, faisant allusion au discours prononcé au Conseil de sécurité par le ministre des Affaires étrangères d'alors, Dominique de Villepin.
La crise humanitaire au Darfour : "On aurait dû réagir plus vite"
En février 2003, une guerre civile éclate dans la province du Darfour, au Soudan. En trois ans, le conflit fait plus de 200.000 morts et entraîne deux millions et demi de personnes sur les routes, selon l'ONU. En 2004, une Commission d'enquête est mise en place alors que les États-Unis évoquent des actes de génocides. Le Conseil de sécurité adopte même une résolution sur le Darfour, menaçant le Soudan de sanctions pétrolières si des conditions de sécurité ne sont pas garanties dans la province. En 2005, le rapport de la commission d'enquête onusien conclut que les actes perpétrés au Darfour constituent des "crimes contre l'humanité", mais ne parle pas de génocide. Le dossier est transmis à la Cour pénale internationale pour qu'elle s'engage à poursuivre les responsables des exactions commises.
Lorsqu'il quitte ses fonctions fin 2006, Kofi Annan adresse un message à son successeur, le Sud-Coréen Ban Ki-moon : "Je tiens particulièrement à ce qu'il n'y ait pas de rupture dans notre traitement de cette crise", lance-t-il alors que la crise du Darfour s'étend à d'autres pays, le Tchad et la Centrafrique, où des camps de réfugiés sont régulièrement attaqués. "On aurait dû réagir plus vite", reconnaît alors Kofi Annan. "On savait que [les troupes] de l'Union africaine", ne seraient pas en mesure d'arrêter les exactions.
Le conflit israélo-palestinien : "une charge aussi symbolique qu'émotionnelle"
"Je quitterai mes fonctions sans que cette épreuve soit terminée". En décembre 2006, à l'heure du bilan, Kofi Annan évoquait ses regrets concernant la situation au Proche-Orient. Le conflit israélo-palestinien est alors qualifié de "charge" par le secrétaire général de l'ONU, une charge "aussi symbolique qu'émotionnelle". En 2000, la Seconde intifada éclate après la visite du Premier ministre israélien Ariel Sharon sur l'Esplanade des Mosquées, située côté palestinien à Jérusalem. Un conflit jalonné de plusieurs affrontements majeurs entre l'État hébreu et les territoires palestiniens, et marqué par la construction de la barrière de séparation dont le tracé, qui clôture la Cisjordanie, fait polémique. En 2003, l'Assemblée générale des Nations unies adopte une résolution condamnant la construction du mur, qui empiète sur le "territoire palestinien occupé".
Au micro d'Europe 1 en 2013, Kofi Annan évoquait un conflit "très sérieux, et "très compliqué". "Il y a toujours des discussions entre les États membres. Entre Israël et la Palestine, entre les Américains et les Nations unies. On avait eu un quartet dont j'étais membre", expliquait-il, précisant : "en général, les Américains soutiennent les Israéliens". En décembre dernier, il avait d'ailleurs fustigé la décision américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël. "Ils se sont totalement retirés des négociations" sur le conflit israélo-palestinien, estimait alors l'ancien secrétaire général de l'ONU.
À la tête d'une commission sur les droits des Rohingyas
Ces dernières années, Kofi Annan avait repris du service sur la scène diplomatique, prenant la tête d'une commission sur les droits des musulmans Rohingyas poussés à fuir au Bangladesh face à la répression de l'armée birmane. Plus de 700.000 Rohingyas ont été forcés à l'exode l'année dernière. Il a aussi créé une fondation consacrée au développement durable et à la paix et faisait partie du groupe des Elders ("les anciens"), créé par Nelson Mandela pour promouvoir la paix et les droits de l'homme.