Burkina Faso, et désormais Burundi. L'Afrique, continent où fleurissent de nombreux présidents à vie et autres dictateurs, semble vouloir se défaire de ses régimes dynastiques. Exit Blaise Compaoré, président burkinabè désavoué par la rue en octobre dernier après avoir tenté de modifier la Constitution pour se représenter. S'il est apparemment toujours bien accroché au pouvoir, le burundais Pierre Nkurunziza est, lui aussi, en disgrâce auprès de son peuple après avoir tenté de briguer un troisième mandat. Dans les rues de Bujumbura, la capitale du pays, la situation reste confuse après des semaines de manifestations et un putsch avorté d'un ancien proche du président aujourd'hui tombé en disgrâce.
>> Alors qu'une vingtaine d'élections se tiendront sur le continent africain dans les prochains mois, un vent de révolte souffle-t-il sur les peuples des 54 Etats qui le composent ? Comment expliquer cette lassitude et ce sentiment de révolte provoqué par les bricolages constitutionnels de certains chefs d'Etats, qui s'accrochent tant bien que mal au pouvoir ? Peut-on parler de "printemps africain" ? Europe 1 invitait vendredi matin le directeur de recherche de l'IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) et spécialiste de l'Afrique Philippe Hugon à donner son éclairage sur la question.
Que savez-vous de la situation actuelle suite à la tentative de putsch de Godefroid Niyombare, l'ancien chef du renseignement ?
Je n'ai que les informations divulguées par le second de Godefroid Niyombare, mais il semblerait que le président Nkurunziza soit de retour au pays après son déplacement en Tanzanie, où il participait à un sommet régional pour résoudre la crise burundaise. De plus, les Etats-Unis ont reconnu sa légitimité, ces indices semblent donc confirmer que le putsch a bel et bien échoué.
Ces dernières semaines, nous avons pu assister à une tentative de coup d'Etat militaire, mais aussi à des manifestations populaires. La rue et l'armée partagent-elles les mêmes intérêts ?
Quand Pierre Nkurunziza a annoncé son intention de réformer la Constitution pour avoir le droit de briguer un troisième mandant, le peuple s'est spontanément présenté dans la rue, manifestant plusieurs semaines durant. Mais quand l'armée a tenté son coup d'Etat, elle a été assez peu suivie par la société civile. On pouvait s'attendre à une jonction entre la rue et les putschistes, mais la rue s'est montrée discrète.
S'il s'avère que le putsch a bel et bien échoué, la situation va-t-elle pouvoir s'apaiser ?
L'échec du coup d'Etat ne règle rien. Au Burundi, l'armée est très compétente et reste une force dangereuse pour Nkurunziza. Du côté de la population, les habitants des villes, de la capitale Bujumbura principalement, sont toujours opposés à ce possible troisième mandat du président.
Que faut-il savoir sur le Burundi, contrée peu connue en France, pour bien comprendre le pays ?
Pour décrire le Burundi, on peut dire que c'est un pays enclavé, de petite taille, à forte densité démographique (350 habitants au km², en France, la moyenne est de 117, ndlr). C'est un peu le jumeau du Rwanda, puisque le Burundi est une ancienne colonie belge, dont la population est également marquée par l'opposition entre Tutsis et Hutus. Enfin, et c'est l'élément le plus important, le Burundi a connu des épisodes de très grande violence jusqu'en 2005. La guerre civile, qui a frappé le pays 12 ans durant (elle a éclaté en 1993 suite au coup d'Etat contre Melchior Ndadaye, président hutu débarqué par l'armée, à majorité tutsie, ndlr), a fait plus de 300.000 morts.
Quel est le profil des opposants à Pierre Nkurunziza ?
Cette révolte, c'est celle de la jeunesse, c'est cela qui est marquant. A Bujumbura, les habitants ont 17 ans de moyenne d'âge ! C'est pourquoi il y a des similitudes avec le printemps arabe. La jeunesse qui devient de plus en plus importante, mobilisée et informée, n'accepte plus les régimes dynastiques et les présidents à vie. Mais s'il existe des ressemblances, les conditions dans lesquelles s'exprime la contestation ne sont pas tout à fait comparables : le Burundi est un tout petit pays enclavé qui n'a pas les mêmes infrastructures que les pays du Maghreb. De plus, la situation au Burundi n'est pas sans rappeler celle qu'a connu le Burkina Faso fin 2014.
Dans ce cas, peut-on parler de "printemps africain"?
Dans d'autres pays africains, on observe à peu près la même chose : une jeunesse contestataire, une information qui circule mieux, des mouvements sociaux qui s'organisent plus vite. Après, les situations diffèrent d'un pays à l'autre en Afrique. Certains régimes autoritaires utilisent par exemple les problèmes sécuritaires pour rester en place, comme au Tchad. Mais le continent est à un tournant politique. Dans les prochains mois, il va y avoir pas moins de 20 élections en Afrique. Il faudra surveiller particulièrement la RDC, le Congo Brazzaville, mais aussi le Cameroun.
La vidéo de l'interview de Jean-Paul Hugon
"Cette offensive a été lancée par un ancien...par Europe1fr