C'est avec des sanglots dans la voix que Christine Blasey Ford a témoigné jeudi devant la commission judiciaire du Sénat américain, pendant plus de quatre heures. Cette universitaire de 51 ans a accusé sous serment le candidat de Donald Trump à la Cour suprême, Brett Kavanaugh, de l'avoir agressée sexuellement en 1982, lors de cette audition historique et retransmise en direct sur toutes les chaînes de télévision américaines.
"Mon devoir civique". Christine Blasey Ford, lunettes à monture noire et tailleur bleu foncé, a lu mots pour mots, mais avec une émotion difficilement contenue, des déclarations préparées à l'avance. "Je suis ici parce que j'estime qu'il est de mon devoir civique de vous dire ce qui m'est arrivé lorsque Brett Kavanaugh et moi étions au lycée", a-t-elle dit en guise d'introduction, tout en confiant être "terrifiée". "Je croyais qu'il allait me violer", a-t-elle résumé en revenant sur les détails d'une soirée improvisée de l'été 1982 dans la banlieue de Washington, alors qu'elle avait 15 ans et Brett Kavanaugh 17 ans.
#ChristinaBlaseyFord au bord des larmes avant même d’avoir commencé à parler, en écoutant la sénatrice @SenFeinstein parler des victimes d’agression sexuelle. pic.twitter.com/jHmFd3Dxbg
— Xavier Yvon (@xavieryvon) 27 septembre 2018
Elle livre les détails de son agression, la gorge nouée. "Il y avait quatre garçons", dont Brett Kavanaugh et son ami Mark Judge, a affirmé Christine Blasey Ford. Tous deux étaient "visiblement ivres". Alors qu'elle montait aux toilettes, "on m'a poussée par derrière dans une chambre". "Brett et Mark sont rentrés dans la chambre et ont fermé la porte derrière eux", a-t-elle poursuivi. On l'a poussée sur le lit puis "Brett s'est mis sur moi", tentant de la déshabiller tout en la touchant partout sur le corps. "Il avait du mal parce qu'il était tellement ivre". Lorsqu'elle a tenté de crier, Brett Kavanaugh a voulu l'en empêcher en plaçant sa main sur la bouche. "C'est ce qui a eu l'impact le plus durable sur ma vie", a-t-elle confié. "J'avais du mal à respirer et j'ai cru que Brett allait accidentellement me tuer", a-t-elle continué, en appelant toujours le magistrat par son prénom. Elle aurait finalement pu se dégager de son étreinte et quitter la pièce.
"I believed he was going to rape me...This is what terrified me the most and has had the lasting impact on my life," Dr. Blasey Ford says of Supreme Court nominee Brett Kavanaugh. https://t.co/hib1LKoWh8pic.twitter.com/qy76bRULSz
— CBS News (@CBSNews) 27 septembre 2018
Comme en réponse à Donald Trump qui a mis en doute la crédibilité de son témoignage parce qu'elle n'en avait pas parlé pendant de longues années, Christine Blasey Ford a expliqué : "Pendant très longtemps, j'avais trop peur et trop honte de le raconter en détails à qui que ce soit". Elle s'est décidée à informer des parlementaires et le journal Washington Post, le 6 juillet, juste avant l'annonce officielle de la nomination de Brett Kavanaugh, tout en restant anonyme. Elle a finalement révélé son identité après des fuites dans la presse. Depuis, "ma famille et moi avons été la cible d'un harcèlement constant et de menaces de mort", a-t-elle encore dit, avant de répondre aux questions d'une procureure spécialisée dans les affaires de violences sexuelles.
Un souvenir "indélébile". Questionnée sur la possibilité qu'elle puisse se tromper d'agresseur, la professeure de l'université de Palo Alto en Californie, s'est dite "absolument" sûre qu'il s'agissait de Brett Kavanaugh. Un souvenir restera "indélébile" dans sa mémoire, a-t-elle affirmé, visiblement très touchée. "C'est le rire, le rire bruyant des deux" garçons dans la chambre "qui s'amusaient à mes dépens". "L'un était sur moi alors qu'ils riaient tous les deux", a-t-elle encore dit au sujet de cette agression qui est revenue la "hanter épisodiquement" dans sa vie d'adulte.
"I was too afraid and ashamed." Dr. Christine Blasey Ford explains why she didn't tell her parents of the sexual assault as a teen, and revealed it to her husband during a counseling session with her husband in May 2012. https://t.co/hib1LKoWh8pic.twitter.com/vb2QgdWUA5
— CBS News (@CBSNews) 27 septembre 2018
Le juge Kavanaugh absent. Pour sa part, le magistrat de 53 ans, qui dément formellement toute agression sexuelle, a été entendu dans la foulée de cette audition. Il n'était pas présent dans la salle pour cette première séance. Si son accusatrice parvient à convaincre Donald Trump, celui-ci a fait savoir qu'il pourrait renoncer à son candidat et lui chercher un remplaçant pour siéger à la Cour suprême. Il y a deux semaines, Brett Kavanaugh semblait pourtant en bonne voie d'obtenir le feu vert du Sénat pour faire son entrée au sein de la plus haute institution des États-Unis. Mais depuis, son image de conservateur, bon père de famille, a été sérieusement écornée par le témoignage de Christine Blasey Ford et de deux autres femmes sorties de l'ombre dans la foulée.
Tension palpable au Sénat. Le président de la commission judiciaire du Sénat, le sénateur républicain Chuck Grassley, avait quant à lui commencé l'audition en dénonçant les menaces et harcèlements subis par Christine Blasey Ford et par Brett Kavanaugh, depuis deux semaines. "Je voudrais présenter mes excuses auprès de vous deux pour la façon dont vous avez été traités", a déclaré le sénateur républicain. "Je souhaite que les auditions d'aujourd'hui soient sûres, confortables et dignes. J'espère que mes collègues seront d'accord".
Mais les tensions entre démocrates et républicains étaient palpables dès le début de la séance, avant même que Christine Blasey Ford commence à témoigner. La sénatrice démocrate Dianne Feinstein a dénoncé notamment le refus de la majorité républicaine d'interroger d'autres personnes susceptibles d'avoir été témoins des faits. Pour autant, le témoignage émouvant et glaçant de Christine Blasey Ford a semblé crédible, et de l'aveu même d'un journaliste influent de la chaîne conservatrice Fox News, il paraît difficile pour Brett Kavanaugh d'inverser la tendance lors de son audition à venir. Toute l'Amérique retient son souffle, jusqu'au président lui-même, qui affirme avoir suivi l'audition de la plaignante depuis l'avion présidentiel.