En démissionnant, le Premier ministre libanais Saad Hariri a "commencé une guerre froide qui pourrait dégénérer en guerre civile". Les mots de Hilal Khashan, professeur des sciences politique à l'Université américaine de Beyrouth se veulent graves. Comme lui, d'autres analystes estiment que la décision, annoncée samedi, de Saad Hariri de quitter ses fonctions est "dangereuse" et aura "des conséquences plus lourdes que ce que le Liban peut supporter".
La démission surprise du Premier ministre libanais Saad Hariri, un protégé de l'Arabie saoudite et critique du Hezbollah pro-iranien, fait craindre que le Liban, pays aux équilibres fragiles, ne plonge dans de nouvelles violences. Certains avancent que cet épisode aura des conséquences plus graves qu'une simple péripétie politique dans un pays habitué aux crises gouvernementales. D'autres préconisent avec insistance le dialogue, à l'instar du député Walid Joumblatt, qui selon L'Orient Le Jour s'est empressé de tweeter dès samedi. "Franchement, le Liban est assez petit et assez faible pour pouvoir assumer les conséquences économiques et politiques de cette démission", a-t-il commenté.
بصراحة فان لبنان اكثر من صغير وضعيف كي يتحمل الاعباء الاقتصادية والسياسية لهذه الاستقالة .كنت وسابقى من دعاة الحوار بين السعودية وايران pic.twitter.com/0A34VV2PFC
— Walid Joumblatt (@walidjoumblatt) 4 novembre 2017
La guerre d'influence entre L'Arabie saoudite sunnite et l'Iran chiite. Le mouvement chiite est le seul parti libanais à ne pas avoir déposé les armes après la fin de la guerre civile (1975-1990) et son arsenal est le principal sujet de contentieux dans le pays. Le Liban est depuis plus d'une décennie profondément divisé entre le camp emmené par Saad Hariri, un sunnite soutenu par l'Arabie saoudite, et celui dirigée par le Hezbollah chiite, appuyé par le régime syrien et l'Iran. Au Moyen-Orient, l'Arabie saoudite sunnite et l'Iran chiite se mènent une guerre d'influence.
Le risque permanent de replonger dans une guerre civile. Cette division libanaise a éclaté au grand jour en 2005, année de l'assassinat de Rafic Hariri, père de Saad, un meurtre pour lequel le régime du président syrien Bachar al-Assad a été pointé du doigt et cinq membres du Hezbollah mis en cause par un tribunal international. Une série d'assassinats de personnalités libanaises hostiles à Damas suivit alors, puis une guerre destructrice entre le Hezbollah et Israël en 2006. Durant les années suivantes, ces affrontements internes ont failli plonger le Liban dans une nouvelle guerre civile et le bras de fer entre camps rivaux a paralysé le pays pendant des mois. Dimanche, le gouvernement de Bahreïn a appelé ses ressortissants à quitter le pays, en raison des risques qui pourraient peser sur leur sécurité.
Une démission annoncée depuis... l'Arabie saoudite. Douze ans après l'assassinat de Rafic Hariri, les tensions restent vives et Saad Hariri a même évoqué dans son annonce de démission sa crainte d'être assassiné. Son départ intervient dans un contexte de fortes tensions sur plusieurs dossiers entre Ryad et Téhéran. Beaucoup relèvent le fait qu'il ait annoncé sa démission depuis l'Arabie saoudite. "Le timing, le lieu de la démission sont surprenants (...) mais la démission elle-même ne l'est pas", estime Fadia Kiwane, professeure en sciences politiques à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth. "Il y a des événements qui se précipitent dans la région et qui montrent qu'on est à un tournant (...), qu'il y aura peut-être une confrontation mortelle entre l'Arabie saoudite et l'Iran", explique-t-elle. Dans ce contexte, "les deux principaux camps au Liban (...) s'affronteront", prédit Fadia Kiwane.
Les menaces de dirigeants israéliens contre le Hezbollah. Depuis des semaines, un ministre saoudien a fait parler de lui en lançant de violentes diatribes sur Twitter contre le Hezbollah. "Il faut punir le parti terroriste (...) en lui faisant face par la force", a-t-il écrit fin octobre. Mais, au-delà d'un conflit interne, les analystes n'écartent pas la possibilité d'une offensive contre le Hezbollah, que ce soit de la part de l'Arabie saoudite ou, plus probable, de son ennemi juré : Israël. "Hariri est en train de dire 'il n'y a plus de gouvernement, le Hezbollah n'y est plus représenté'. (...) Il légitime ainsi avec sa démission toute frappe militaire contre le Hezbollah au Liban", affirme Hilal Khashan. "Il y a une crainte d'une opération contre le Hezbollah", renchérit Fadia Kiwane. Depuis des mois, des dirigeants israéliens menacent de s'en prendre dans le cas d'un nouveau conflit au Hezbollah et aux infrastructures civiles au Liban. Toute guerre aura des répercussions désastreuses sur l'économie du pays qui, bien qu'elle soit bancale, reste dotée d'un solide secteur bancaire.