Pour son 90ème anniversaire, en juin 2014, George H.W. Bush avait tenu à effectuer, comme pour ses 80 et ses 85 ans, un saut en parachute. Une façon, peut-être, de conjurer le sort pour ce grand sportif cloué depuis quelques années à son fauteuil roulant. L'ancien président américain, qui souffrait d'une forme de la maladie de Parkinson, s'est éteint vendredi à l'âge de 94 ans. De ses années de jeunesse comme pilote dans l'armée à sa relation pour le moins complexe avec son président de fils, George H.W. Bush aura vécu une vie marquée par les guerres, au propre comme au figuré.
Héros de la Seconde Guerre mondiale. Sauter en parachute, c'était avant tout pour lui un moyen de se souvenir de ses faits d'armes pendant la Seconde Guerre mondiale. Né en 1924, ce fils de bonne famille, surnommé "Poppy" depuis l'enfance, devient l'un des plus jeunes pilotes de l'US Navy en 1942. Deux ans plus tard, le jeune homme survole l'île japonaise de Chi Chi Jima quand son avion est abattu, ce qui le contraint à effectuer son tout premier saut en parachute, avant d'être secouru par un sous-marin américain. L'épisode, qui le marque profondément, lui vaut des décorations militaires. Quelques semaines après son retour aux États-Unis, en 1945, le jeune George Herbert Walker Bush épouse Barbara. Il passe ensuite un diplôme d'économie de la prestigieuse université de Yale et travaille dans l'entreprise de son père, spécialisée dans le pétrole.
L'observateur de la Guerre Froide. Mais dans les années 1960, les forages pétroliers du Texas ne lui suffisent plus : c'est désormais la politique qui l'intéresse. L'homme gravit rapidement les échelons, se faisant élire à la chambre des représentants sous l'étiquette républicaine dès 1966. Avant même son arrivée à la Maison-Blanche, des années plus tard, il développe un profil très marqué par l'international. Ambassadeur à l'ONU, il est aussi envoyé des États-Unis en République populaire de Chine entre 1974 et 1975, une expérience relatée dans un Journal de Chine publié en 2008. Cette expertise, ainsi que son passage à la tête de la CIA pendant un an, font de lui un candidat parfait à la vice-présidence de Ronald Reagan, un poste qu'il occupe pendant deux mandats.
Mais c'est surtout en tant que président, de 1989 à 1993, que George H.W. Bush peut enfin peser sur le déroulement de la Guerre Froide entre son pays et le bloc communiste. Interviewé en 1999 sur Europe 1 par Jean-Pierre Elkabbach, il confiait son "grand respect" pour Mikhaïl Gorbatchev, le dirigeant soviétique d'alors. "Je parlais souvent à [François] Mitterrand de Gorbatchev et nous étions d'accord pour dire que c'était une grande figure de l'histoire, placée face à des problèmes énormes." En 1989, Bush n'est président que depuis quelques mois quand le mur de Berlin s'écroule. Le président est alors "inquiet". "Si j'avais trop réagi, les forces militaires soviétiques auraient peut-être pris le pouvoir" en Allemagne de l'Est, soutenait-il en 1999. À l'époque, s'il soutient évidemment la réunification allemande, le président américain prend soin de ne pas rompre le dialogue avec Moscou.
Le président de la guerre du Golfe. Mais la "vraie" guerre de George H.W. Bush, c'est avant tout celle du Golfe, contre Saddam Hussein, le "mal incarné". Le 2 août 1990, les troupes irakiennes envahissent le Koweït voisin. En janvier débute l'opération "Tempête du désert", sous l'égide de l'ONU. Pour la coalition emmenée par le président américain, c'est un succès. Mais à Washington, on lui reproche de ne pas être allé jusqu'à faire tomber le régime de Saddam Hussein. À cette objection, il répond en 1999 sur Europe 1, par ces mots qui résonnent aujourd'hui comme une étrange prémonition : "Si j'avais été jusqu'à Bagdad on n’aurait jamais vu le début du processus de paix au Moyen-Orient. Nous serions devenus une puissance occupante dans une terre arabe. Et la France ne serait pas restée à nos côtés".
La bataille perdue contre Bill Clinton. S'il est une guerre que Bush père a en revanche perdue, c'est celle de sa réélection, face au démocrate Bill Clinton. Nous sommes en 1992 et le républicain doit sa défaite à une promesse de sa campagne de 1988 : "Read our lips ! No new taxes." George H.W. Bush avait en effet promis de ne pas augmenter les impôts. Une promesse non tenue, ce que ses adversaires, y compris dans son propre camp, ne manquent pas de mettre en avant. La réussite de la guerre du Golfe ne suffit pas : Bush père est battu par un Bill Clinton qui a axé toute sa campagne sur l'économie. Pour la famille Bush, c'est une humiliation. Mais cela n'empêche pas les deux anciens présidents de travailler de concert en 2005 pour lever les fonds pour les victimes du tsunami en Asie du sud-est ou encore pour la Nouvelle-Orléans après le passage de l'ouragan Katrina. Et malgré sa défaite de 1992, le public américain est loin de l'avoir oublié : en août 2014, le très sérieux The Economist notait que jamais Bush père n'avait été aussi populaire auprès de ses concitoyens.
La guerre avec son fils. "George Bush [fils] ne consulte que sa mère, jamais son père". La phrase, lâchée au détour de son interview sur Europe 1 en 1999, laisse entendre ce que la relation entre George H.W. Bush et son fils, pas encore président à l'époque, a de conflictuel et d'ambigu. Les deux hommes pourraient difficilement être plus différents : un monde sépare le père, "un réaliste pragmatique" de la droite traditionnelle américaine, de son fils, "évangéliste radical" et héraut des idées néoconservatrices, notait Salon en 2007. Des livres entiers ont été écrits sur ce drôle de lien entre le 41ème et le 43ème président des États-Unis, alias "41" et "43". Et quand le fils est sur le point de se lancer, à son tour, dans l'aventure irakienne contre Saddam Hussein en 2002, le New York Times évoque un "psychodrame politique de haut niveau, du pur Shakespeare".
Pour surpasser enfin son père, Bush fils devra au moins "renverser Saddam", expliquait à l'époque un analyste au Monde. Mission accomplie, mais les conséquences de l'intervention sont désastreuses. Le père sera tout de même surpassé par le fils dans un domaine : le ridicule. En 1992, George H.W. Bush est l'invité du Premier ministre japonais quand il se met soudain à vomir en plein dîner de gala. Il expliquera plus tard avoir souffert d'une mauvaise grippe, mais toute l'Amérique se gausse déjà. Et n'oublie cet incident embarrassant qu'en 2002, quand le fils s'étouffe brièvement à la Maison-Blanche en mangeant un bretzel devant la télévision.