Antoine Deltour comparaît à partir de mardi devant la justice du Luxembourg. Cet ancien employé du cabinet de consultants PricewaterhouseCooper est poursuivi pour avoir fourni à la presse des documents révélant des accords entre le fisc luxembourgeois et certaines multinationales.
" Au départ, j'étais juste une source anonyme "
A l'approche du procès, ce jeune homme discret, lunettes noires et barbe de trois jours, dit assumer les conséquences de son action. Mais le jeune trentenaire admet aussi éprouver "un sentiment mêlé d'impatience et d'appréhension". L’enjeu n’est pas sans conséquences : Antoine Deltour encourt une peine de 10 ans d'emprisonnement et plus d'un million d'euros d'amende.
Une situation que l’ancien employé de PricewaterhouseCooper a dû mal à comprendre. "Au départ, j'étais juste une source anonyme, et je me retrouve sur le devant de la scène", raconte-t-il dans un entretien accordé à l'AFP dans une brasserie d'Epinal, sa ville natale des Vosges, où il est aujourd'hui revenu vivre.
- Besoin de partir pour être en phase avec ses convictions
Jusqu'en 2010, Antoine Deltour travaillait au Luxembourg comme auditeur dans la filiale du cabinet de consultants PricewaterhouseCooper (PwC) avant d'en démissionner", "entre autres, parce qu'(il est) scandalisé par certaines pratiques fiscales". Lui qui avait débuté sa vie professionnelle au Luxembourg "sans a priori" mais "sans naïveté" ne se doutait "ni de l'ampleur, ni de la radicalité de ces pratiques". "Pendant deux ans, j'ai accepté, considérant que ma situation confortable méritait de faire ce sacrifice, mais j'ai ressenti le besoin de partir pour être en phase avec mes convictions", explique-t-il.
Avant de quitter son poste, Antoine Deltour copie sur le serveur informatique des centaines d'actes fiscaux confidentiels entre l'administration fiscale luxembourgeoise et des multinationales. Lorsqu'il prend contact avec des experts sur le sujet pour "valider (son) interprétation", "cela ne donne rien de probant" et il se dit "prêt à abandonner". Plusieurs mois plus tard, en 2011, il est contacté par le journaliste Edouard Perrin, de l'émission Cash Investigation de France 2, à qui il livre les documents.
La révélation de ces informations déclenche le scandale des "Luxleaks", qui avaient mis en lumière les "tax rulings", ces décisions anticipées conclues au Luxembourg et qui permettent aux multinationales d'échapper quasiment à l'impôt.
- L’intérêt général au cœur de sa démarche
Inculpé en décembre 2014 par une juge d'instruction luxembourgeoise de vol, violation du secret d'affaires, violation du secret professionnel, accès frauduleux à un système informatique et blanchiment, Antoine Deltour comparaît avec un deuxième employé de PwC et le journaliste français Edouard Perrin.
"Mon rôle se limite à avoir fait un copié-collé et à avoir répondu à un journaliste", assure l’ancien consultant, ajoutant que "le traitement de cette information est allé bien au-delà de (ses) intentions". "C'est une épreuve d'affronter la justice, mais mon anxiété actuelle est contrebalancée par les répercussions qui prouvent que l'intérêt général était au coeur de ma démarche", assure-t-il. "Quand je me suis retrouvé placé en garde à vue, je me suis demandé pourquoi je m'étais mis dans cette situation", dit-il, rassuré toutefois par ce que "les révélations ont permis" de déclencher.
Après son expérience luxembourgeoise, Antoine Deltour a passé un concours de la fonction publique française. Il travaille aujourd'hui à l'antenne lorraine d'un institut économique. Il comparaîtra devant la justice luxembourgeoise jusqu'au 4 mai.
LES LANCEURS D'ALERTE ET LA LOI
A la suite de ce scandale, la Commission européenne avait lancé en juin 2015 un plan d'action pour tenter d'harmoniser les 28 systèmes européens d'impôt sur les sociétés et pour lutter contre l'évasion fiscale des multinationales.
La France quant à elle a décidé de mieux protéger les lanceurs d’alerte le scandale des "Panama papers". Un projet de loi sur la transparence de la vie économique et la lutte contre la corruption a été présenté par Michel Sapin fin mars. Il devrait établir "une définition du lanceur d'alerte" et "les principes de sa protection", d'après un communiqué du ministre des Finances.
Une nouvelle agence de lutte contre la corruption devrait également venir remplacer l'actuel Service central de prévention de la corruption, créé en 1993. Elle aura pour vocation de mieux accompagner les lanceurs d'alerte en les informant "sur la protection juridique dont ils peuvent bénéficier", mais aussi en "anonymisant leurs signalements et en les reprenant à son compte".