Manifestations en Algérie : "Bouteflika n’est que le visage de ce système politique"

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Depuis le 22 février, les Algériens se mobilisent contre une nouvelle candidature d'Abdelaziz Bouteflika à la présidence de l'Algérie. © RYAD KRAMDI / AFP
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Mathilde Belin
Pour la chercheuse Farida Souiah, interviewée par Europe 1, la colère des Algériens ne s'explique pas par la seule candidature de Bouteflika à un nouveau mandat, mais dénonce également le "népotisme" de la classe dirigeante.
INTERVIEW

"Bouteflika dégage", "non à un 5ème mandat" : les Algériens se sont de nouveau mobilisés dans la nuit de dimanche à lundi après l’officialisation de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un 5ème mandat à la présidence du pays. Dans une lettre présentée après le dépôt de sa candidature au Conseil constitutionnel, qui devrait la valider - sauf grande surprise - d’ici mi-mars, Bouteflika, 82 ans, promet d’abréger ce nouveau mandat et d’organiser une élection présidentielle anticipée.

Mais ses engagements n’ont pas semblé calmer la contestation, et plusieurs centaines de jeunes ont manifesté sans incident majeur dans la foulée de cette annonce, dans les rues d’Alger et de nombreuses autres villes du pays. Pour autant, selon la chercheuse Farida Souiah, spécialiste des questions de sociologie politique et du Maghreb, ces manifestations ne sont pas uniquement dirigées contre un "président fantôme", mais expriment un rejet global de la classe politique dirigeante.

Qu’est-ce qui est dénoncé dans les manifestations en Algérie ? Sont-elles uniquement dirigées contre une nouvelle candidature du président Bouteflika ?

"Non, ce n’est pas dirigé uniquement contre Bouteflika. On voit beaucoup de slogans qui le concernent personnellement, comme 'pas de 5ème mandat', mais d’autres visent aussi le parti au pouvoir, le FLN, son frère Saïd Bouteflika, et toute la nébuleuse politique qu’est l’Algérie. Bouteflika n’est en fait que le visage de ce système politique.

Les manifestants dénoncent la manière dont l’Algérie est gouvernée, le fait qu’il y a peu de transparence, qu’il y a une collusion entre le politique et l’économique… C’est un rejet général du népotisme."

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Dans les cortèges, comme ici à Annaba le 1er mars, les slogans ne visent pas seulement la personne du président, mais l'ensemble de la classe dirigeante. ©AFP

Les Algériens souffrent-ils au quotidien de ce "népotisme" ? Ont-ils le sentiment de ne pas vivre dans un pays démocratique ?   

"Le système politique algérien est complexe et il n’y a pas de verrouillage complet, avec une absence totale de libertés d’expression. Il existe une presse indépendante, des caricaturistes, des intellectuels qui prennent part au débat… Les gens restent libres de parler de politique.

On est plutôt sur une forme de gestion de la dissension, et parfois le pouvoir va faire preuve de répression. Par exemple sur la presse privée et indépendante : ça va se traduire par des pressions, notamment économiques, via la publicité et l’imprimerie. Mais cela se fait de façon ciblée... C’est la cooptation ou la répression. Et les Algériens savent très bien qu’ils ne vivent pas en démocratie."

Doit-on craindre alors une répression des manifestations ? Ou bien le "clan Bouteflika" peut-il lâcher du lest ?

"C’est toujours difficile de savoir comment les choses vont évoluer. La manifestation du 22 février s’est bien passée et ça a débloqué une sorte d’élan. Le pouvoir fait le choix aujourd’hui de ne pas organiser de répression dure, car il pense que cela ne va pas durer. Mais sur les réseaux sociaux, on voit des appels à manifester de façon pacifiste, des appels pour une manifestation de femmes, etc… Les gens ne semblent pas vouloir se départir du mouvement.

Le seul retrait de la candidature de Bouteflika ne suffirait pas de toute façon à calmer le mouvement, et c’est pour cela que son clan ne le fait pas. D’autant que la classe politique dirigeante, d’une grande opacité, n’est pas uniforme et a en son sein des personnes avec des intérêts différents. Elles ne sont pas toutes d’accord entre elles, et n’ont donc pas encore trouvé de figure naturelle pour succéder à Bouteflika. Alors ce clan joue la montre et veut vendre une transition par le haut. Dans la Constitution algérienne, il est inscrit que le système politique est pluraliste, mais il y a une différence entre la norme et les pratiques… Et les Algériens ne se laissent pas duper par les annonces de réformes."