Depuis dimanche soir, et la réélection d'Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 26 ans, les Biélorusses manifestent dans les rues du pays. Les mobilisations nocturnes ont déclenché une répression violente de la part des policiers, tandis que les rassemblements pacifiques et les grèves se multiplient. "Il y a des gens qui sortent dans les rues à Minsk, en bas de leurs maisons, avec des fleurs et qui font des signes aux voitures passantes, qui retournent ce signe avec des signaux sonores", témoigne Yuri, 43 ans, joint par Europe 1.
Une situation inédite pour le pouvoir en place
La situation est inédite dans ce pays contrôlé Loukachenko depuis 1994. Depuis les résultats des élections présidentielles, qui ont consacré son maintien au pouvoir avec 80% des voix, les Biélorusses osent crier leur mécontentement. "Loukachenko a bénéficié d'une certaine légitimité auprès de sa population pendant de longues années, notamment grâce à des politiques sociales et économiques qui étaient véritablement orientées vers la population", analyse sur Europe 1 Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférences à l'université Paris-Nanterre et spécialiste des sociétés post-soviétiques. "Il a perdu sa légitimité par la conjonction de plusieurs éléments : un ralentissement de l'économie, qui est lié aussi au ralentissement de l'économie russe dont la Biélorussie est très dépendante, et sa très mauvaise gestion de la crise du Covid, qui a mis en colère et effrayé les Biélorusses."
Fait nouveau, des usines et des grandes entreprises, traditionnellement soutiens affichés du pouvoir en place, ont entamé des grèves dans tout le pays. "Ce n'est pas seulement de la classe moyenne qui agit, mais aussi la classe ouvrière", assure Yuri, qui milite pour de "vraies élections". "La détermination est celle de la population biélorusse aujourd'hui, à Minsk, dans les grandes villes, dans les petites villes mais aussi dans les campagnes", poursuit la maîtresse de conférence. "L'un des signes les plus frappants de ce mouvement, c'est sa généralisation à toutes les couches sociales, à toutes tranches d'âge et à tout le pays."
Détermination malgré la répression
Pour tenter d'endiguer la contestation, la répression a été sévère. Lundi, un homme a été tué sur la place Pouchkinskaïan, dans la capitale. Depuis dimanche, 6.700 personnes ont été interpellées, selon un bilan officiel. Environ mille d'entre elles ont été libérées jeudi dans la journée et depuis les témoignages de violences policières et de tortures se multiplient. Yuri, dont certains amis lui ont confié avoir subi ces exactions, confirme. "J'ai des amis, qui sont des journalistes locaux, qui ont passé la nuit devant la prison de Minsk. On entend des cris, des gens sont torturés", assure-t-il. "Les témoignages sont extrêmement nombreux grâce aux réseaux sociaux, grâce aux smartphones", ajoute Anna Colin Lebedev. "Je pense que les Biélorusses sont très informés de ce qu'il se passe autour d'eux et veulent en informer le monde."
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Pourtant la détermination des habitants n'est pas entamée, au contraire. "Il provoque un embrasement plus qu'une peur de la population", analyse l'experte en sociétés post-soviétiques. Yuri attend impatiemment ce week-end, où les manifestants devraient être encore plus nombreux, tant les appels se multiplient. L'opposante politique, candidate malheureuse à l'élection, Svetlana Tikhanovskaïa, qui s'est réfugiée en Lituanie en début de semaine, a appelé à des rassemblements pacifiques le 15 et 16 août. "Je pense que la situation change, c'est une sorte de première ce qu'il se passe en Biélorussie et je veux faire partie de cette situation historique", confie-t-il.
Quelle suite pour ces manifestations ?
L'issue de cette contestation populaire reste incertaine, tant elle est inédite en Biélorussie. Elle dépendra de plusieurs éléments, selon Anna Colin Lebedev. "En premier le choix des élites, en second le choix des forces armées, en troisième la stratégie de la Russie dans cette situation et en quatrième la stratégie de l'Union européenne." L'Union européenne a donné son feu vert vendredi à de nouvelles sanctions, tandis que Minsk se dit prêt "à un dialogue constructif".
Mais les Biélorusses n'attendent plus rien de l'Union européenne, tant elle fut timide lors de la crise ukrainienne survenue en 2013. "Une fois de plus, comme en Ukraine, on est dans le cadre de zones tampons d'influence géographique avec l'Union européenne d'une part et la Russie de l'autre", poursuit l'experte. "La Biélorussie est perçue par la Russie comme une annexe, encore plus que l'Ukraine, comme un acteur dépendant." Les habitants redoutent par ailleurs une intervention russe et certains témoignent d'une intervention de militaires sans insignes qui agiraient pour le compte de Moscou, en soutien du pouvoir en place. "Je remarque des forces qui seraient en provenance de Russie puisqu'on voit beaucoup de voitures, avec des hommes habillés d'une certaine manière, en noir, avec des masques et des plaques d'immatriculation de transit", assure Yuri, à Minsk.
La communauté franco-biélorusse s'est également mobilisée. Une manifestation était prévue devant l'ambassade à Paris et une lettre ouverte a été envoyée au ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian pour l'enjoindre à ne pas reconnaître les résultats d'une élection qu'ils jugent truquée.