Melania Trump, "une femme paradoxale"

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Pour François Durpaire, historien spécialiste des États-Unis, l’intervention de l'épouse de Donald Trump en pleine polémique des enfants migrants marque un tournant dans son rôle de First Lady.
INTERVIEW

Melania Trump est-elle la seule capable d’influencer son président de mari ? Alors que Donald Trump campait sur une ligne dure anti-immigration, le président américain a finalement adouci sa position en signant un décret pour mettre fin aux séparations des familles. Aux États-Unis, d’aucuns y ont vu le signe d’une intervention de la First Lady. Pour parer à la crise médiatique, Melania Trump a été envoyée au front visiter un camp de migrants et humaniser la politique migratoire de son mari. Un "coup de com’" piloté par la Maison-Blanche ? Difficile à dire tant la Première dame est une femme paradoxale, explique à Europe 1 François Durpaire, historien spécialiste des États-Unis.

Melania Trump est-elle "utilisée" par son mari pour résorber la polémique sur les enfants migrants ?

François Durpaire : C’est très difficile de décrypter la communication de Melania Trump et de savoir si elle est utilisée ou non par Donald Trump sans être dans le secret de l’East Wing, l’aile de la Maison-Blanche qui accueille le bureau de la First Lady. Depuis que son mari a été élu, on a beaucoup de mal à distinguer les moments où Melania Trump joue une partition solo de ceux où elle fait office de carte cœur de Donald Trump. Il faut lire entre les lignes. Quand elle lance un appel à "gouverner avec le cœur" sur la question des migrants, il est évident qu’elle vise directement le président. Mais quand elle réclame une loi bipartisane (appuyée par les Républicains et les Démocrates, ndlr) sur l’immigration, elle porte le discours de la Maison-Blanche.

Qu’apporte Melania Trump à la politique de son mari ?

Donald et Melania Trump n’ont pas la même approche de la politique. On pourrait penser que ça joue contre le président mais en réalité il en tire un bénéfice. Grâce à sa femme, il peut toucher un autre électorat. Dans le cas des migrants, il en avait impérativement besoin. On est passé en quelques jours d’une "crise des migrants" à une "crise des enfants". Même dans le camp des Républicains, des voix se sont élevées pour dire que migrants ou pas, il s’agit avant tout d’enfants séparés de leurs parents. Les interventions médiatiques de Melania Trump, notamment la visite du centre d’hébergement des enfants à la frontière mexicaine, ont permis de reconnecter Donald Trump avec une partie de l’Amérique.

Est-ce la première fois qu’elle s’oppose publiquement à la politique de Donald Trump ?

Pas aussi clairement. C’est un tournant. Avant, les équipes de Donald Trump avait du mal à saisir et maîtriser la partition solo de Melania Trump. L’autre exemple parlant, c’est sur le port d’armes. Elle avait exprimé des idées divergentes par rapport à celles de son mari. Alors qu’il est un fervent défenseur du port d’armes, le président avait alors semblé glisser vers une position plus modérée. Mais c’était un feu de pailles : Donald Trump était rapidement revenu à ses fidélités politiques, notamment à la NRA (le lobby des armes à feu, ndlr). Même chose pour les migrants : le décret présidentiel ne remet pas en cause la politique de tolérance zéro.

" Melania Trump est très paradoxale "

Y a-t-il eu dans l’histoire des États-Unis un couple présidentiel aussi ambivalent ?

C’est du jamais vu. D’abord car il n’y a jamais eu de président semblable à Donald Trump. Mais ça vaut aussi pour Melania Trump, elle est très paradoxale. C’est à la fois la Première dame la plus effacée et la plus médiatisée. La séquence actuelle est frappante. Après son hospitalisation de cinq jours en mai, elle a disparu purement et simplement pendant 23 jours ! Elle n’était ni au G7 ni au sommet de Singapour avec Kim Jong-un, deux moments forts, voire historiques, du mandat de Donald Trump. Et d’un coup, alors qu’elle venait juste de réapparaître, elle est propulsée en pleine lumière, on la voit partout depuis le début de la polémique des enfants migrants.

Comment Melania Trump assume-t-elle le rôle de First Lady ?

S’il fallait résumer son attitude avec une expression, ce serait sans doute : "Il faut se méfier de l’eau qui dort". On l’a décrite réticente à endosser le costume de First Lady, parfois même comme séquestrée à la Maison-Blanche. Mais elle a peut-être plus de suite dans les idées que ce qu’on veut bien nous faire croire. D’autant plus qu’elle est populaire aux États-Unis, elle plaît aux deux électorats. Les républicains l’aiment parce qu’elle sait s’effacer derrière Donald Trump et les démocrates, au contraire, apprécient ses sorties médiatiques pour tempérer la politique menée par la Maison-Blanche.

Avec sa campagne contre le cyber-harcèlement, Melania Trump a-t-elle trouvé sa propre voix ?

Toutes les First Lady mettent leur statut au service d’une cause. Nancy Reagan agissait pour la lutte contre la drogue, Michelle Obama avait choisi la lutte contre l’obésité. Melania Trump s’est emparée de la cause du cyber-harcèlement avec sa campagne "Be Best", lancée début mai. Mais on n’a pas le sentiment que ce thème lui soit particulièrement cher. Elle est finalement plus effacée sur ce sujet que sur l’actualité politique. On ne parle déjà plus du cyber-harcèlement après à peine plus d’un mois. C’est tout le paradoxe de Melania Trump, à la fois très effacée dans ses prérogatives de Première dame et beaucoup plus politique que celles qui l’ont précédée.