C'est au moins une victoire symbolique. Au bout de la nuit de jeudi à vendredi, après neuf heures de négociations intenses, les vingt-huit dirigeants de l'Union européenne, réunis à Bruxelles, ont réussi à s'entendre sur les questions migratoires. Alors que l'accueil des bateaux humanitaires œuvrant en mer Méditerranée a hystérisé le débat ces dernières semaines, trouver un accord était indispensable pour éviter l'implosion de l'Europe. "La coopération européenne l'a emporté", s'est félicité Emmanuel Macron vendredi. "La solidarité que nous devons aux premiers pays d'entrée a été actée lors de ce sommet."
Mais au-delà de cette victoire diplomatique, les mesures prises par l'Europe changeront-elles concrètement l'accueil des migrants ? Permettront-elles d'apaiser les esprits européens échauffés ? Constituent-elles une solution pérenne, alors que le flux migratoire, en baisse ces dernières années, pourrait être amené à augmenter de nouveau ? Rien n'est moins sûr tant les conclusions du Conseil européen s'apparentent à de grandes orientations qui reposent sur la bonne volonté des États.
Que contient l'accord ?
-Un renforcement des frontières extérieures et une meilleure coopération avec les pays d'origine et de transit des migrants
-Une réflexion autour des "plateformes régionales de débarquement", sorte de camps de migrants dans les pays d'origine ou de transit, où un premier tri entre migrants illégaux et demandeurs d'asile pourrait être effectué
-La mise en place, uniquement dans les pays volontaires, de centres fermés et contrôlés où accueillir les migrants qui arrivent par bateau sur les côtes européennes
Renforcement des frontières extérieures. Les Vingt-Huit ont décidé d'abord de renforcer leurs frontières extérieures. "Il convient d'intensifier encore les efforts déployés pour lutter contre les passeurs opérant à partir de la Libye ou d'ailleurs", écrit le Conseil européen dans ses conclusions. Ce qui n'est pas une surprise : c'est l'un des rares points qui ne suscitait aucun débat entre les dirigeants européens. Ces derniers ont également acté le renforcement de leur "soutien en faveur de la région du Sahel, des garde-côtes libyens, des communautés côtières et méridionales", mais aussi de leur "coopération avec [les] pays d'origine et de transit" afin d'intensifier "la réinstallation volontaire" des migrants.
Des "demandes" mais peu de concret. Des efforts financiers doivent notamment être faits pour aider les pays d'origine et de transit. Le Conseil européen a acté le transfert de 500 millions d'euros vers le fonds fiduciaire de l'Union européenne pour l'Afrique. Mais c'est là le seul élément concret que le Conseil européen puisse décider. Pour le reste, il s'agit surtout de "demandes" et d'"encouragements" à l'égard des États membres. "La coopération entre l'Union européenne et l'Union africaine constitue un élément important de notre relation. Le Conseil européen demande qu'elle soit davantage développée et encouragée", est-il écrit dans les conclusions. À charge pour les Vingt-Huit de s'emparer de ces orientations pour les concrétiser.
Des centres hors de l'UE… Le Conseil européen souhaite également "une nouvelle approche" des États membres "à l'égard du débarquement des personnes secourues dans le cadre d'opérations de recherche et de sauvetage". Il "invite" Bruxelles à "examiner le concept de plateformes régionales de débarquement". Ces plateformes sont situées dans des "pays tiers", notamment en Afrique du Nord et dans les Balkans, et doivent permettre de faire un premier "tri" en distinguant d'un côté les réfugiés qui peuvent prétendre à l'asile en Europe, de l'autre les migrants économiques qui n'y ont pas droit.
" Nous n'accepterons jamais de tels camps pour réfugiés européens. "
…refusés par tous les pays envisagés. Le problème, c'est que les quelques pays susceptibles d'en accueillir qui se sont exprimés jusqu'ici ont repoussé l'idée. "Le Maroc rejette et a toujours rejeté ce genre de méthodes pour la gestion de la question des flux migratoires", a déclaré jeudi Nasser Bourita, le chef de la diplomatie marocaine. Même son de cloche en Libye, où le vice-premier ministre, Ahmed Meitig, a opposé un "refus catégorique [à] l'installation de camps pour migrants" dans le pays cette semaine. "Nous n'accepterons jamais de tels camps pour réfugiés européens", a également prévenu le Premier ministre albanais Edi Rama. Pas question non plus pour la Tunisie qui "n'abritera jamais de camps de migrants", selon Khemaïes Jhinaoui, ministre des Affaires étrangères tunisien.
Des "centres contrôlés" en Europe… Troisième grand point d'accord des dirigeants européens : la création de "centres contrôlés" sur le sol européen, dans lesquels "un traitement rapide et sûr permettrait de distinguer les migrants en situation irrégulière, qui feront l'objet d'un retour, des personnes ayant besoin d'une protection internationale". Cette proposition avait été formulée par Paris et Madrid avant le sommet. Mais ces centres seront établis dans les pays "uniquement sur une base volontaire", a conclu le Conseil européen.
…uniquement dans les pays volontaires. Reste donc à savoir lesquels le seront. Et jusqu'ici, chacun semble frileux. "L'Italie n'est plus seule", s'est félicité à l'issue du Conseil européen le chef du gouvernement italien, Giuseppe Conte, sans pour autant confirmer que Rome allait donner son feu vert pour construire ces centres fermés. Avant le rendez-vous des Vingt-Huit, Matteo Salvini, ministre de l'Intérieur italien, avait d'ailleurs balayé cette éventualité : "si l'arrogance française pense transformer l'Italie en camp de réfugiés pour toute l'Europe, peut-être en versant quelques euros de pourboire, elle se fourvoie complètement."
Paris n'a pas fait montre de beaucoup plus de volonté. Interrogée vendredi sur Europe 1 sur la probabilité de construire un tel centre sur le sol français, Nathalie Loiseau, la ministre chargée des Affaires européennes, s'est montrée très prudente. Selon elle, cela ne pourrait se produire que "dans la mesure où un bateau arriverait en France". "Mais vous avez bien compris que l'objectif c'est aussi de mettre fin au trafic car l'arrivée en Europe par bateau n'est pas une solution."
" Il est des choses qu'il faudra compléter, préciser dans les semaines et mois à venir. "
Encore du chemin à faire. Enfin, le Conseil européen ne statue ni sur la question de la répartition des migrants en Europe, ni sur le règlement de Dublin, très critiqué. Le quota obligatoire, catégoriquement refusé par de nombreux pays, notamment d'Europe centrale et de l'est, ne figure nulle part. Quant à la renégociation de Dublin, le Conseil européen se contente de rappeler qu'un "consensus doit être trouvé pour qu'il soit réformé sur la base d'un équilibre entre responsabilité et solidarité". Un rapport sur l'état d'avancement des réflexions a été commandé pour le mois d'octobre.
Du chemin reste donc encore à parcourir pour concrétiser ce qui, pour le moment, s'apparente plus à des pistes de travail. "Il est des choses qu'il faudra compléter, préciser dans les semaines et mois à venir", concède une source élyséenne au Point. La chancelière allemande Angela Merkel a, elle aussi, admis qu'il "reste beaucoup à faire pour rapprocher les différents points de vue". Mais la chancelière le sait : l'Union européenne a paré au plus urgent en arrachant un accord quand beaucoup ne le pensaient pas possible. "Je pense qu'après des discussions intenses sur ce qui est peut-être le plus grand défi de l'Union européenne, c'est un bon message d'avoir adopté un texte commun."