"Un bâton de dynamite dans une poudrière." C'est ainsi que Joe Biden, candidat à l'investiture démocrate à l'élection présidentielle de novembre prochain, a qualifié la décision de Donald Trump d'ordonner un raid américain pour assassiner le général iranien Qassem Soleimani, vendredi. Et depuis, l'heure n'est pas à la désescalade des tensions entre Américains et Iraniens. Selon Gilles Kepel, l'objectif de ces derniers "est d'empêcher la réélection de Trump par tous les moyens", analyse le politologue sur Europe 1, lundi matin, au micro de Matthieu Belliard.
Trump, le risque d'être "carterisé" ?
Pour tenter de comprendre ce qui se joue dans le maelström à l'oeuvre dans la région, il faut revenir au 31 décembre, trois jours avant la mort de Soleimani. Ce jour-là, des centaines de manifestants pro-iraniens prennent d'assaut l'ambassade américaine à Bagdad, la capitale irakienne. "La menace d'attaque de l'ambassade américaine en Irak a réveillé aux États-Unis le souvenir traumatique de l'attaque de l'ambassade américaine à Téhéran il y a 40 ans (de novembre 1979 à janvier 1981, ndlr)", rappelle Gilles Kepel, spécialiste du monde arabe contemporain. "L'attaque de Donald Trump (l'assassinat de Soleimani, ndlr) se veut un signe très fort des États-Unis."
"En 1980, Jimmy Carter, candidat à sa réélection, a perdu quelques mois plus tard à cause de la gestion désastreuse de l'affaire des otages de l'ambassade", poursuit Gilles Kepel. "Pour les Iraniens, l'objectif est de faire dérailler la réélection de Donald Trump, lui-même ayant frappé pour ne pas se faire 'carteriser'."
Comment Donald Trump pourrait-il être privé de réélection en novembre à cause de la gestion de ce dossier ? "Le véritable enjeu", selon Gilles Kepel, "c'est de savoir si Trump va faire face à une attaque qui va l'obliger à mobiliser des forces et à renvoyer des soldats dans la région et être pris dans l'engrenage d'une guerre qu'il ne maîtrise pas".
Menace d'un engrenage
"En 2016, il a été élu grâce à ces swing states du Wisconsin, du Michigan et de la Pennsylvanie, où beaucoup de jeunes étaient partis à la guerre en Irak et sont revenus pour beaucoup d'entre eux dans des sacs en plastique", raconte l'auteur de Sortir du chaos (Gallimard, 2018). "Donald Trump a fait campagne dans ces États en dénonçant des guerres inutiles. Les Iraniens sont parfaitement avertis de ce qu'est la vie politique américaine. Ils ont fait dérailler Jimmy Carter, et aujourd'hui, leur objectif est d'empêcher la réélection de Trump par tous les moyens."
Mais la République islamique a-t-elle les moyens de répondre aux États-Unis ? "Sans doute", répond Gilles Kepel, "puisque les réseaux de djihad chiite sont très présents" et "la machine Soleimani, même s'il est mort, reste là, un peu partout". "Dans les années 1980, lorsque la France soutenait Saddam Hussein, l'Iran avait activé des djihadistes libanais pour prendre de nombreux otages français", retrace-t-il. "Il y a eu l'attaque du centre culturel israélite en Argentine, probablement par des gens liés à une branche du Hezbollah. La machine de guerre iranienne a indéniablement la capacité de ces choses-là."