"Nous voyons une génération entière qui est affamée. Nous devons agir maintenant, pour sauver des vies". Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a lancé mardi un cri d’alarme pour éviter la famine au Yémen, où près de 19 millions d’habitants sont menacés. La communauté internationale se mobilise pourtant très peu face à cette urgence alimentaire, qui touche également la Somalie, le Soudan du Sud et le Nigeria. L’ONU n’a ainsi reçu, début avril, que 20% des 4,4 milliards de dollars nécessaires pour acheminer de l’aide dans la Corne de l’Afrique. Mais alors, pourquoi le monde se désintéresse de cette crise ?
- Une crise récurrente et complexe
La répétition des famines dans la Corne de l’Afrique, touchée à intervalles réguliers par des épisodes de grande sécheresse, est une des explications à ce désintérêt. "C’est une crise récurrente. Il y a, dans les pays occidentaux, comme une accoutumance à ces famines", déplore Françoise Sivignon, présidente de Médecins du monde interrogée par Europe 1. La Somalie en a ainsi payé un lourd tribut en 2011, avec la mort de 258.000 personnes provoquées par une grande sécheresse. Mais le climat n’est pas le principal responsable de ces famines. Ce sont bien les guerres, qui déchirent la Somalie, le Yémen (où un enfant meurt toutes les dix minutes de faim ou de maladie, selon l'ONU), le Soudan du Sud et le nord-est du Nigeria, qui causent les plus grands ravages. "La faim est aussi une arme politique. Pour résoudre cette crise, il faut résoudre ces conflits. Mais il n’y a aucune volonté politique de le faire", poursuit Françoise Sivignon.
L’aide alimentaire a ainsi les plus grandes difficultés à être acheminé sur place. La violence des combats a par exemple contraint 60 humanitaires à évacuer plusieurs zones de l’est du Soudan du Sud, pourtant officiellement déclarée en état de famine depuis février dernier. "Nous n’avons pas accès aux populations", explique la présidente de Médecins du monde. Enfin, la faiblesse des agricultures locales rend ces pays totalement dépendants de l’aide alimentaire et des importations. "S’il n’y a pas de politique de développement agricole, et pas d’argent injecté dans ce secteur, on ne solutionnera pas les problèmes de sécurité alimentaire de la région", estime Tristan Coloma, rédacteur en chef de la Lettre de l’océan indien, une publication spécialisée dans l’actualité de l’Afrique de l’Est.
- Les opinions publiques peu informées
Pour la présidente de Médecins du monde, la famine dans la Corne de l’Afrique est "une crise oubliée". "On en parle très peu. Nous avons essayé d’alerter les médias, de faire passer des messages, mais cela a été très peu relayé", se désole Françoise Sivignon. Des tribunes écrites par des humanitaires dans Libération (Faim dans la Corne de l’Afrique : cessons d’accepter lâchement l’intolérable), mi-mars, ou dans Le Monde, lundi, (Yémen : "462 000 enfants de moins de cinq ans en danger de mort immédiate) sont ainsi passées inaperçues.
Seule l’initiative de Jérôme Jarre, star des réseaux sociaux qui a réuni 2 millions de dollars au mois de mars pour lutter contre le faim en Somalie, a été relayée dans les médias du monde entier. Le jeune Français de 26 ans, installé aux Etats-Unis, avait lancé un défi aux internautes : faire décoller un avion chargé de nourriture. Sa collecte de dons, partagée en masse sur les réseaux sociaux, a ainsi permis la distribution de 60 tonnes de denrées alimentaires. Mais, malgré cette belle histoire, les besoins, immenses, sont encore loin d’être satisfaits.
60 TONNES DISTRIBUÉES ! VIDÉO POUR POUR LES 85,000 PERSONNES QUI ONT DONNÉ ET SOUTIENNENT CE PROJET ❤️ pic.twitter.com/kEXTKPk5wD
— JÉRÔME JARRE (@jeromejarre) 4 avril 2017
- L’aide humanitaire, pas une priorité pour la communauté internationale
Malgré les appels répétés du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui évoque la "pire crise humanitaire depuis la fin de la Seconde guerre mondiale", la communauté internationale tarde à se mobiliser. Les Nations unies n’ont ainsi reçu, début avril, que 20% des 4,4 milliards de dollars nécessaires pour acheminer de l’aide dans la Corne de l’Afrique. "En quelques années, les préoccupations humanitaires ont cédé face aux préoccupations migratoires", avance Tristan Coloma.
Résultat : l’aide humanitaire, comme l’aide au développement (ADP), ne sont plus des priorités pour l’Union européenne. L’UE, qui s’était fixée comme objectif de consacrer 0,7% de son revenu national brut à l’ADP en 2015, n’a atteint que 0,41% en 2014, selon Eurostat. "Les politiques migratoires de l’Union européenne sur la zone de la Corne de l’Afrique ont pour objectif de maintenir les gens sur place en faisant de l’aide au développement, essentiellement industrielle", précise le rédacteur en chef de la Lettre de l’océan indien. "Sauf qu’on ne mange pas des boulons."