Depuis des mois, l'avenir de la frontière entre l'Irlande (membre de l'UE) et l'Irlande du nord (rattachée au Royaume-Uni) empoisonne les négociations sur le Brexit. Mais ce sujet n'est pas le seul point d'achoppement. L'autre caillou dans la chaussure de Bruxelles et de Theresa May, la Première ministre britannique, a la taille d'un rocher, celui de Gibraltar.
Madrid est inquiète de ce qui pourrait advenir de cette enclave britannique de sept kilomètres carrés située dans le sud de l'Espagne, après le "divorce", qui doit intervenir le 29 mars. Mardi, le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez a mis la pression sur ses partenaires européens en menaçant de bloquer l'accord sur le Brexit qui doit être formalisé dimanche lors d'un sommet extraordinaire, si le rôle direct de l'Espagne dans les négociations sur l'avenir de Gibraltar n'était pas reconnu. Mais que réclame exactement Madrid ? Pourquoi ce sujet est-il sensible ? Ce désaccord peut il faire échouer le Brexit ? Europe 1 décrypte.
Qu'est-ce qui coince ?
Aujourd'hui, l'Espagne dispose d'un accord de principe de ses partenaires européens sur son futur rôle direct dans la négociation sur l'avenir de Gibraltar, ce territoire où travaillent des milliers d'Espagnols et revendiqué par Madrid.
Mais pour le gouvernement espagnol, ce rôle n'est pas suffisamment explicité dans le projet d'accord du Brexit. "Ce n'est garanti ni dans l'accord de retrait ni dans la déclaration (politique) future", a déclaré mardi le chef du gouvernement, Pedro Sanchez.
Que réclame Madrid ?
L'Espagne souhaite pouvoir négocier directement avec le Royaume-Uni sur l'avenir de Gibraltar. Pour éviter tout retournement de situation de dernière minute, elle estime qu'il faut que cela soit inscrit noir sur blanc dans le texte d'accord du Brexit. Car selon elle, l'article qui évoque le cas de Gibraltar dans l'accord est aujourd'hui trop flou. "Nous voulons qu’il soit écrit clairement que les négociations entre Londres et Bruxelles ne s’appliquent pas à Gibraltar", a insisté mardi le ministre des Affaires étrangères espagnol, Josep Borrell.
"J'ai le regret de dire qu'un gouvernement pro-européen comme celui de l'Espagne votera, s'il n'y a pas de changement, non au Brexit", lors du sommet extraordinaire programmé dimanche à Bruxelles, a alors mis en garde Pedro Sanchez.
Quels sont les enjeux ?
Faire pression sur Gibraltar. Lorsque le Brexit entrera en vigueur, Madrid n'aura plus l'obligation d'ouvrir sa frontière avec Gibraltar. Or l'enclave dépend notamment des près de 14.000 travailleurs établis en Espagne qui franchissent chaque jour la frontière pour aller travailler à Gibraltar. L'Espagne voit ainsi dans le Brexit une possibilité de faire pression sur ce territoire qu'elle accuse d'être un paradis fiscal et de tolérer la contrebande de tabac.
Et, s'il est peu probable que l'Espagne ferme sa frontière avec le "Rocher", Madrid espère contraindre Gibraltar à quelques concessions notamment sur les prix du tabac (beaucoup plus bas qu'en Espagne) sur la transparence financière et sur l'utilisation de l'aéroport de l'enclave. Cela ne sera possible que si les négociations se font directement avec le Royaume Uni.
Peser sur la politique nationale. Selon Jesus Verdu, professeur de droit et de relations internationales à l’université de Cadix, interrogé par La Croix, ce coup de pression du chef du gouvernement espagnol serait également une façon de montrer qu'il sait taper du poing sur la table à quelques jours d'élections régionales en Andalousie : "Il s’agit à mon sens d’un geste de réaffirmation nationaliste face aux partis de droite qui l’ont attaqué sur la question de Gibraltar dans un contexte de précampagne électorale en Espagne", assure le spécialiste.
Ce désaccord peut-il faire échouer le Brexit ?
Rien n'est sûr. Pedro Sanchez s'est entretenu mardi par téléphone avec le président de la Commission Jean-Claude Juncker, et devrait faire de même avec le président du Conseil européen Donald Tusk, selon une source gouvernementale espagnole. "Nous sommes conscients des problèmes du gouvernement espagnol et nous y travaillons", s'est borné à déclarer mardi un porte-parole de la Commission, refusant d'entrer dans le détail des discussions. "Les Espagnols sont sérieux, ce n'est pas une blague, a déclaré également un diplomate européen, avant d'ajouter : "Nous allons trouver une solution".