Une crise diplomatique va trouver son épilogue samedi, et la France n’y est pas pour rien. Le Premier ministre libanais, accompagné de sa famille, est arrivé à Paris samedi, "à l’invitation" d’Emmanuel Macron. Jusqu’alors, Saad Hariri se trouvait en Arabie Saoudite, très probablement contre son gré, malgré ses déclarations. Sur ce dossier, Emmanuel Macron fait coup double, voire coup triple : il permet au dirigeant libanais de se sortir d’une fâcheuse situation, il montre que la France reste concernée par la situation de son ancien protectorat, et permet à Paris de pouvoir jouer un rôle central au Proche-Orient.
Des liens forts et anciens
Les liens entre la France et le Liban sont très anciens, puisqu’ils remontent au 16ème siècle. A l’époque contemporaine, la première est devenue en 1920 la puissance mandataire du second, dont elle fixe les frontières avec la Syrie. Depuis, la France a toujours tenté de faire de ce pays multi-confessionnel, dont le président doit, aux termes de la Constitution, être chrétien et le Premier ministre musulman sunnite, un point d'appui de son influence au Proche-Orient. "Ce qui fait notre force dans le dossier libanais, c'est que nous parlons à tout le monde", confie à l'AFP Denis Bauchard, expert du Moyen-Orient à l'Institut français des relations internationales (IFRI). "La France a une relation privilégiée au Liban avec les trois communautés, y compris des contacts avec les chiites".
" Il lui doit la liberté, et peut-être la vie sauve "
Ces liens sont aussi renforcés par l’amitié profonde qu’ont entretenus pendant de longues années Rafic Hariri, père de Saad, Premier ministre du Liban à de nombreuses reprises entre 1992 et 2004,et Jacques Chirac. L’ancien président français, de 1995 à 2007, est ainsi le seul chef d'État occidental à se rendre aux obsèques de Rafic Hariri, tué dans un attentat à Beyrouth le 14 février 2005. Il reçoit ensuite régulièrement à l'Elysée Saad Hariri. Et après son départ du Palais présidentiel, Jacques Chirac est hébergé dans un duplex de 180 m2 à Paris, mis à sa disposition pendant plus de huit ans par la famille Hariri.
En permettant à Saad Hariri de sortir d’Arabie Saoudite, Emmanuel Macron devrait avoir gagné au moins l’estime du futur ex-Premier ministre libanais. Car il lui "doit la liberté, et peut-être la vie sauve", selon Vincent Hervouët. Et pour l’éditorialiste d’Europe 1 spécialisé dans les relations internationales, le président de la République a été en première ligne. "C’est le président lui-même, qui s’est rendu (en Arabie Saoudite), qui a su trouver les mots justes avec le geôlier, qui a orchestré les pressions diplomatiques", estime-t-il.
Emmanuel Macron a-t-il réussi un coup diplomatique ?
Pour Frédéric Encel, spécialiste de géopolitique, professeur à Sciences Po Paris, pas de doute : "avec cette affaire Hariri, Emmanuel Macron enregistre un nouveau succès diplomatique", estime l’universitaire sur 20Minutes. "La France veut redevenir une grande puissance dans les cénacles internationaux. Et c’est le moment pour le faire, avec le retrait relatif des Etats-Unis dans le Proche-Orient. Par ailleurs, l’Allemagne ne veut pas jouer cette partition et la Grande-Bretagne est pour l’heure empêtrée dans le Brexit", poursuit-il.
L'implication personnelle d’Emmanuel Macron dans la crise libanaise lui a déjà valu un satisfecit de l'ancien Premier ministre et ex-ministre des Affaires étrangères de droite Alain Juppé, qui a estimé qu'"il est bon que le président mouille sa chemise pour jouer un rôle de médiateur". Le chef de l’Etat s’était en effet rendu à Ryad à l'occasion d'une brève visite, le 9 novembre, au cours de laquelle il s'est entretenu avec le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Et mercredi, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian s'est lui aussi rendu à Ryad où il a notamment rencontré jeudi, dans sa villa, Saad Hariri.
" La France a restauré son crédit "
Avec cette sortie de crise diplomatique, la France marque aussi des points. "Elle était jugée trop proche du Qatar. En offrant une porte de sortie à Ryad dans ce dossier, la France fait un nouveau pas vers l’Arabie saoudite et rééquilibre ses relations au Proche-Orient", analyse Frédéric Ancel. "L’enjeu est aussi économique pour la France, qui renforce ainsi son positionnement pour remporter des marchés commerciaux dans ce pays, notamment dans le domaine de l’armement." Pour Vincent Hervouët, "la France a restauré son crédit".
Mais la crise pourrait revenir
Reste que la tension est toujours palpable dans le dossier libanais. Si Saad Hariri a annoncé dès le 4 novembre, sa démission, le président libanais Michel Aoun ne semble pas prêt à l’accepter dans ces conditions. "La question de la sécurité de M. Hariri est sur le point d'être réglée, c'est la question de politique de fond qui devrait désormais prendre la vedette", écrit le quotidien francophone L'Orient Le Jour. "La peur que la crise s'aggrave est toujours là", renchérit le journal An Nahar.
Parmi les conséquences d'une crise prolongée au Liban figure le risque d'un nouvel afflux de réfugiés en Europe, évoqué jeudi par le ministre libanais des Affaires étrangères Gebrane Bassil. "La déstabilisation du Liban aurait des conséquences sur les déplacés et réfugiés présents au Liban qui seraient alors dans une situation encore plus fragile et se tourneraient vers l'Europe", a-t-il dit à Berlin.
Enfin, le contexte de rivalité régionale exacerbée entre l'Arabie Saoudite et l'Iran demeure. Or, ces deux pays disposent de relais locaux puissants au Liban et pourraient être tentés d'y vider leur querelle. C’est pourquoi Paris veille à maintenir de bonnes relations et des canaux de communication efficaces avec les deux pays.