Quatre mathématiciens ont reçu ce mardi à Helsinki la médaille Fields, dont le Français Hugo Duminil-Copin et l’Ukrainienne Maryna Viazovska, la deuxième femme à recevoir cette prestigieuse distinction depuis la création du prix en 1936. Les deux autres lauréats de cette récompense délivrée tous les quatre ans, considérée comme l'équivalent d'un "Nobel de mathématiques", sont le chercheur basé aux Etats-Unis June Huh et le Britannique James Maynard. La médaille célèbre les "découvertes exceptionnelles" de chercheurs de moins de 40 ans.
Hugo Duminil-Copin collectionne les distinctions
"Produire des idées" avec une "vision esthétique" : tel est le credo d'Hugo Duminil-Copin, récompensé pour des travaux qu'il juge essentiel de partager par l'enseignement, le "cœur" de son métier. Regard brillant derrière de larges lunettes, le probabiliste âgé de 36 ans décrit le bonheur qu'il éprouve à chercher plutôt qu'à trouver.
"C'est le meilleur, d'autant plus que c'est un processus collectif, où toute la beauté est dans l'interaction avec les autres", a expliqué à l'AFP, avant l'annonce de son prix, ce chercheur qui collectionne les distinctions depuis dix ans.
Professeur à l'Institut des Hautes Etudes Scientifiques
Né le 26 août 1985, Hugo Duminil-Copin a été nommé professeur permanent en 2016 à l'Institut des Hautes Etudes Scientifiques (IHES), qui a vu passer des aînés aussi prestigieux que légendaires, comme le mathématicien Alexandre Grothendieck. "C'est un endroit qui est fait pour moi, pour ma partie créative ", dit-il. Un havre de verdure, situé à Bures-sur-Yvette (Essonne) sur le campus de l'Université Paris-Saclay, qui sait "offrir du temps au chercheur".
"Cette lenteur dans le quotidien est hyper fructueuse car j'ai besoin de temps pour que les idées viennent, pour qu'elles décantent tranquillement, qu'elles prennent forme", explique-t-il.
Dans ce lieu, proche de son Châtenay-Malabry natal, il peut exercer une "intuition très visuelle" des problèmes mathématiques à résoudre, dans une tête où "il y a très peu de formules et beaucoup de dessins". Le tout avec le souci d'une "certaine élégance" dans la démonstration.
Enseigner, l'occasion de retravailler sans cesse les concepts
Même si le secret de l'IHES est de libérer le chercheur de toute obligation, dont celle d'enseigner, Hugo Duminil-Copin sacrifie à cette passion. Il exerce en effet aussi à l'Université de Genève, qui lui a offert son premier poste après son doctorat. Car l'enseignement est "peut-être au final l'aspect le plus important de ce métier", selon lui. Une conviction héritée d'un père professeur de sport, et d'une mère danseuse devenue institutrice.
Lui-même se voyait bien prof de maths, avant de réaliser qu'il lui fallait "quand même tenter de faire de la recherche". Enseigner est pour lui l'occasion de retravailler sans cesse les concepts, pour mieux les distiller. Un travail qui sert aussi le chercheur. Tout comme l'échange avec les physiciens qui utilisent ses outils mathématiques pour en tirer des applications. Pour lui, c'est "l'ensemble de la communauté qui produit vraiment l'avancée scientifique".
De son parcours jusqu'à l'agrégation de maths à l'Ecole Normale Supérieure, il retient des rencontres clef. Dont celle avec ce prof de classe préparatoire, au lycée Louis-Le-Grand, et sa "vision très enthousiaste des mathématiques".
Et aussi deux professeurs d'université. Le probabiliste Jean-François Le Gall, un "enseignant tellement incroyable", déroulant son cours avec une facilité qui le faisait se sentir "léger". Et en Master, Wendelin Werner, médaillé Fields lui aussi, dont le cours consacré à la théorie de la percolation sera un "coup de foudre", engageant Hugo Duminil-Copin dans la branche mathématique de la physique statistique.
"Je ne rentre pas trop dans les clichés du génie"
Aujourd'hui, il chérit la compagnie de ses "frères d'armes et collègues les plus proches", Ion Manolescu et Vincent Tassion, respectivement professeurs des Universités de Fribourg et Zurich. "C'est le bonheur des maths, à son paroxysme quand je travaille avec eux, grâce à un échange d'idées qui représente une stimulation perpétuelle", dit-il.
Il ne s'en voit pas moins comme "quelqu'un de très, très normal. Je ne rentre pas trop dans les clichés du génie".
L'équilibre mental est aussi "hyper important"
Enfant, il préférait l'astronomie aux mathématiques, et n'a "pas du tout été poussé par ses parents". Qui ont eu à cœur de le "confronter à des choses diverses", avec beaucoup de sport, de musique et de copains. "Quand on parle de la préparation à devenir chercheur, on pense intelligence, formation académique. Mais il y a aussi cet équilibre mental qui est hyper important", relève-t-il.
Cas d'école, les idées de ce jeune père continuent à lui venir à l'esprit "n'importe quand, en pleine nuit ou sous la douche". Mais il s'astreint à les mettre de côté pour les traiter au travail, car sa "priorité est du côté personnel, pour passer du temps avec ma fille et avec ma femme".