La descente aux enfers se poursuit pour Harvey Weinstein, accusé de harcèlement sexuel et de viols par une quarantaine de femmes. Lundi, le syndicat des producteurs d'Hollywood a annoncé qu'il initiait une procédure d'expulsion à l'encontre de l'Américain, déjà débarqué de sa propre société de production et exclu de l'Académie des arts et sciences du cinéma, qui remet les Oscars. Quitté par son épouse, le magnat d'Hollywood n'a plus son nom sur les célèbres planches de Deauville et devrait se voir retirer la Légion d'honneur en France. Mais au-delà de sa carrière et de sa vie privée, la question se pose maintenant des conséquences judiciaires que pourrait avoir cette affaire, étalée sur plus de trente ans dans plusieurs pays, et étayée pour l'heure par peu de preuves matérielles.
- Combien d'enquêtes ont-elles été ouvertes ?
Deux, mais sans qu'aucune plainte ne soit déposée pour l'instant. La première aux Etats-Unis, plus précisément dans l'Etat de New York : elle porte sur l'histoire rapportée par Lucia Evans, une actrice qui accuse le producteur de l'avoir forcée à lui faire une fellation. Outre-Atlantique, où se seraient déroulés la majeure partie des faits rapportés par des victimes présumées dans les médias, c'est pour l'instant la seule agression dont s'est emparée la police. À Los Angeles, où se trouve Hollywood, aucune enquête n'a été initiée sur Harvey Weinstein à ce stade. Mais quel que soit l'État américain, il faut de toute façon "qu'au moins une victime porte plainte pour qu'un procureur se saisisse" et qu'un dossier soit judiciarisé, explique Me Arthur Dethomas, avocat aux barreaux de Paris et New York, interrogé par Le Parisien.
La deuxième enquête a été ouverte par la police Britannique, à propos d'une agression sexuelle qui aurait été commise dans les années 1980, dans la région de Londres. Elle a ensuite été élargie pour y inclure trois autres agressions présumées, commises contre une deuxième femme à Westminster en 2010, ainsi qu'à Camden en 2015.
Pour l'instant, aucune procédure n'est par ailleurs en cours en France, où le producteur a sévi au moins une fois selon l'actrice Asia Argento. Cette dernière a affirmé dans le New-Yorker avoir été violée par Harvey Weinstein dans une chambre d'hôtel de la Côte d'Azur, en 1997.
- Tous les faits peuvent-ils faire l'objet de poursuites ?
Non, à cause de la prescription. Or, les règles qui la régissent ne sont pas les mêmes dans tous les pays où des victimes sont susceptibles de se manifester. Aux États-Unis, elles varient d'un État à un autre et dépendent de la gravité des faits. La police de New York cherche actuellement à entendre Lucia Evans, dont le récit constitue un "crime", imprescriptible aux yeux de la loi. "Ne pas chercher à l'entendre serait une faute professionnelle. Nous devons lui parler", a estimé un chef de la police locale, interrogé par le New York Times.
En Californie - l'État où se trouve Hollywood -, la loi a été récemment modifiée pour supprimer la prescription fixée à 10 ans après le scandale Bill Cosby, acteur accusé d'agressions sexuelles par une cinquantaine de femmes. Mais l'application du texte n'est pas rétroactive : dans cet État, les faits reprochés à Harvey Weinstein remontant à avant 2007 ne peuvent donc pas faire l'objet de poursuites, quelle que soit leur gravité.
Même scénario en France, où le délai de prescription est passé de trois à six ans pour les victimes majeures début 2017, sans effet rétroactif. Quant à la Grande-Bretagne, les crimes y sont théoriquement imprescriptibles. Mais dans les faits, un juge peut décider d'y abandonner des charges si les faits sont jugés trop anciens.
- La culpabilité d'Harvey Weinstein peut-elle être prouvée ?
C'est toute la question. Plus les faits remontent dans le temps plus les preuves irréfutables, qu'il s'agisse de témoignages ou de traces ADN, semblent difficiles à présenter à la justice, faisant courir le risque d'une enquête "parole contre parole", souvent défavorable aux victimes aux États-Unis. À cet égard, l'exemple de la top model Ambra Battilana Gutierrez s'avère peu encourageant.
En 2015, cette jeune femme a déjà porté plainte contre Harvey Weinstein, pour une agression sexuelle, commise dans une chambre d'hôtel. Les policiers ont réalisé un enregistrement audio d'une conversation entre elle et son agresseur présumé, dans laquelle on l'entend clairement tenter de l'attirer à nouveau dans sa chambre. Mais ces éléments de preuve, largement diffusés dans les médias ces dernières semaines, avaient été jugés insuffisants par le procureur de Manhattan, Cyrus Vance, qui avait choisi de classer l'enquête sans suite. "Nous travaillons dans un tribunal régi par la loi, pas un tribunal de l'opinion publique. Nous avons décidé que cette affaire ne pourrait pas faire l'objet d'une condamnation", a-t-il depuis justifié.
Au moins huit femmes ont par ailleurs indiqué avoir d'ores et déjà signé un accord financier avec le producteur en contrepartie de leur silence et ne peuvent plus se pourvoir en justice. Face à des procès s'annonçant difficiles, d'autres victimes présumées pourraient être approchées en vue d'un "deal" de dédommagement. Des procédures au civil peuvent par ailleurs être initiées sans passer par un procureur, en vue d'obtenir une compensation financière.
- Quelles sont les peines encourues ?
S'il était reconnu coupable de "crime" dans l'État de New York, Harvey Weinstein risquerait entre cinq et vingt-cinq ans de prison, selon des experts interrogés par le Guardian. Contrairement à la France, les peines peuvent en outre se cumuler aux Etats-Unis, menant potentiellement à plusieurs dizaines d'années de détention.