Trois jours pour tisser des liens et évoquer les sujets qui fâchent. Le président chinois Xi Jinping débute dimanche soir à Nice une visite d'État de trois jours en France, où il sera reçu par Emmanuel Macron. Les deux chefs d'État évoqueront notamment les "nouvelles routes de la soie", ce pharaonique et controversé programme d'investissements piloté par la Chine entre l'Asie, l'Europe et l'Afrique. Et qui inquiète considérablement le président français, craignant une "hégémonie" chinoise à travers ce projet estimé à plus de 1.000 milliards de dollars.
De quoi s'agit-il ?
Le projet, lancé en 2013 par le président Xi Jinping, est appelé en mandarin "La ceinture et la route" : ceinture terrestre reliant la Chine à l'Europe via l'Asie centrale, et route maritime via l'océan indien. A suivi une multiplication, en Asie et en Afrique, de chantiers essentiellement financés par la Chine : ports, autoroutes, liaisons ferroviaires, centres industriels... Ce projet est déjà engagé, puisque le rail relie désormais la Chine à une trentaine de villes européennes en moins de trois semaines. La Chine a également racheté le troisième port de Turquie, près d'Istanbul, considéré comme un important point de jonction.
Martelée par Pékin, la formule des "routes de la soie" se trouve appliquée également à toutes sortes d'investissements, accords diplomatiques et projets extrêmement divers, jusqu'en Amérique latine et... dans l'Arctique.
Cartographie. Avec les nouvelles routes de la soie, la Chine tisse une toile mondiale https://t.co/xpB9ICpornpic.twitter.com/JkKDxkGFcR
— Courrier inter (@courrierinter) 14 septembre 2018
Quelles sont les sommes engagées ?
On estime qu'une soixantaine d'États ont bénéficié de capitaux chinois liés à ce projet. Les sommes sont colossales : selon des estimations, la Chine a déjà dépensé quelque 200 milliards de dollars. Plus généralement, les investissements chinois dans les pays concernés, de 2014 à mi-2018, s'élevaient à plus du double, soit 410 milliards de dollars, estime le cabinet Euler-Hermes. Selon la banque Morgan Stanley, les investissements chinois cumulés dans les pays des "routes de la soie" dépasseront 1.200 milliards de dollars d'ici 2027.
Les entreprises françaises pourraient profiter de cette manne pour s'implanter davantage en Chine. "Avec ce projet, des entreprises qui travaillent déjà avec des entreprises chinoises ont une possibilité de se positionner sur de nouveaux marchés où elles ne seraient pas allées, comme des marchés plus proches de la Chine", a expliqué Sybille Dubois-Fontaine, la directrice générale du MEDEF-Comité France Chine, dimanche sur Europe 1. "La difficulté, aujourd'hui, est de faire comprendre aux entreprises où sont ces projets et comment elles peuvent y participer. Là-dessus, il y a besoin de plus de lisibilité", a-t-elle nuancé.
Pourquoi les controverses ?
Les puissances occidentales, États-Unis en tête, dénoncent les visées géopolitiques de Pékin, soupçonné de vouloir cimenter son influence, contrôler des matières premières et écouler ses surcapacités industrielles. Ces routes "ne peuvent être celles d'une nouvelle hégémonie" qui placerait en "vassalité" les pays traversés, s'alarmait en janvier 2018 le président français Emmanuel Macron. Plus de 96% des projets financés par Pékin sont confiés à des entreprises chinoises, pointait du doigt en septembre une note du Trésor français. Ces dernières monopolisent ensuite les revenus générés par certaines infrastructures.
Par ailleurs, en accordant des prêts colossaux, la Chine est accusée de faire dérailler les finances de pays en développement, aggravant ainsi leur dépendance, sur fond de soupçons de corruption. Mongolie, Maldives ou Pakistan sont menacés de décrochage, tandis que le Sri Lanka, incapable d'honorer ses créances, a dû céder à Pékin le contrôle pour 99 ans d'un port en eaux profondes. Enfin, les Européens déplorent l'opacité des appels d'offres, épinglant l'insuffisance des normes environnementales et sociales.
Pourquoi les États-Unis et la France s'inquiètent-ils ?
Plusieurs pays de l'UE (Portugal, Grèce, Hongrie, Pologne...) ont déjà conclu des protocoles d'accord pour rejoindre les "routes de la soie". L'Italie, la troisième économie européenne, est devenue samedi le premier membre du G7 à s'y rallier, s'attirant les vives critiques des États-Unis. "Nul besoin pour l'Italie de conforter la légitimité de projets (servant) l'arrogance chinoise", a tancé Garrett Marquis, un responsable de la Maison-Banche, sur Twitter. Les interrogations portent sur le risque éventuel pour la défense et les infrastructures italiennes, des experts pointant du doigt l'intérêt chinois pour les ports stratégiques de Trieste et Gênes. Ceux du Pirée (Grèce), Bilbao et Valence (Espagne) sont, par exemple, déjà sous pavillon chinois.
La France, elle, appelle à "une approche coordonnée" face à Pékin afin d'"éviter une forme de division européenne mal venue". Néanmoins, Paris ne s'oppose pas à toute coopération avec Pékin, à condition de satisfaire "certains critères de soutenabilité écologique et financière" et de réciprocité, notamment l'ouverture des marchés publics, assure une source gouvernementale française. Selon le JDD, la France aurait convaincu l'UE de participer, "en gage de bonne volonté", au deuxième sommet de la route de la soie, en septembre prochain. Une occasion supplémentaire pour tenter de peser sur ce gigantesque projet.