Trois ans après sa dernière visite, Emmanuel Macron a posé le pied sur le sol chinois mercredi pour une visite d’État de trois jours. Accompagné d’une cinquantaine de chefs d’entreprise, il sera principalement question d’économie et de commerce. Paris espère ainsi signer plusieurs contrats pour rééquilibrer une balance commerciale déficitaire. "On importe de la Chine beaucoup plus qu'on exporte. Les trains de la route de la soie arrivent plein de marchandises et repartent vides ou avec quelques bouteilles de Cognac", ironise Emmanuel Véron, spécialiste de la Chine contemporaine et enseignant-chercheur associé à l’Inalco.
En ce sens, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen est également du voyage pour aborder ces questions économiques à l’échelle européenne, mais aussi l’aspect diplomatique au travers de la guerre en Ukraine.
Une relation franco-chinoise dégradée
Pour Emmanuel Macron, cette visite d’État est l’occasion de panser les plaies d’une relation franco-chinoise dégradée. Les causes sont multiples, à commencer par le Covid-19. Une majeure partie de l’opinion française a pris conscience de "l’autoritarisme mis en place par la Chine pour gérer la crise, avec son cortège de mensonges et de maltraitances", explique Emmanuel Lincot, professeur à l’Institut catholique de Paris et sinologue chercheur associé à l’IRIS.
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"On a découvert qu’on était face à un véritable autoritarisme", étroitement lié à la gouvernance du président chinois Xi Jinping, réélu pour un troisième mandat à la tête d’un appareil d’État dont "les déclarations agressives en disent long sur la manière dont ils nous perçoivent", poursuit Emmanuel Véron. Une perception bien différente d’il y a vingt ans, en raison de la perte d’influence de la France dans les affaires internationales : "La Chine nous considère comme une puissance moyenne, avec des difficultés", estime l'expert. Ajouté à cela le déséquilibre dans la balance commerciale, la détérioration des relations sino-américaine et récemment la guerre en Ukraine, le temps de "l’ami Chirac" semble bien loin.
Stratégie du en "même temps"
Pour autant, Emmanuel Macron veut tenter de revenir à des relations franco-chinoises beaucoup plus "apaisées et constructives". "L'Élysée est dans une logique d'ouverture en souhaitant remettre la Chine autour de la table. C’est délicat et un peu naïf", juge Emmanuel Véron. Une logique que le président français compte mener à bien grâce à sa fameuse stratégie du "en même temps", analyse Françoise Nicolas, directrice du centre Asie à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Avant de poursuivre : "Après avoir abandonné l’idée d’une Chine démocratique, il veut tout de même essayer de la faire évoluer sur d’autres aspects". Notamment sur le plan économique, où il espère davantage de réciprocité. Il faut donc "être capable de parler de manière un peu ferme à la Chine pour lui faire comprendre qu’elle doit évoluer", assure Françoise Nicolas. Sur le plan diplomatique, Emmanuel Macron sera moins ferme, "plus accommodant", car il souhaite que la deuxième puissance mondiale joue un rôle diplomatique, notamment en Ukraine. "Il va jouer sur deux tableaux, ce qui est loin d’être simple".
Avec ou sans l’Europe ?
Pour convaincre la Chine d’aller dans son sens, la France doit nécessairement passer par une coalition des pays européens pour montrer qu'elle "n’est pas seule". "Aujourd'hui, la relation franco-chinoise ne peut être améliorée qu’à travers l'Europe. Il faut mettre en avant l’unité européenne, c’est la seule manière d’être écouté", estime Françoise Nicolas. D’autant que l’Union européenne reste le premier partenaire commercial de la Chine.
Concrètement, cela doit passer par "la définition d’une ligne industrielle, politique et militaire claire face au sujet chinois", explique Emmanuel Véron. Pour faire bouger la Chine, "il faudrait la même convergence européenne que celle vis-à-vis de l'Ukraine". Ce qui à l’heure actuelle, "est plus facile à dire qu’à faire", reconnaît Françoise Nicolas. Pour Emmanuel Lincot, cette convergence est "quasiment impossible" à mettre en place "quand on connaît les antagonismes entre la France et l’Allemagne au sujet de la Chine". De plus, Ursula Von der Lyen est loin d’être "la meilleure amie" des Chinois, au vu de ses récents discours et de celui qu’elle a tenu ce jeudi à Pékin.
Dans un tel contexte, Paris doit prendre le "lead", toujours selon Emmanuel Lincot. Membre du conseil de sécurité de l’ONU, relations franco-chinoises très anciennes, seule puissance nucléaire de l’U.E et deuxième puissance maritime du monde, la France est dans une situation politique et militaire suffisamment importante. "Ce sont des atouts très précieux. C’est ce qui nous permet de nous différencier des Européens", poursuit le chercheur qui pense que la France est la seule à avoir une capacité d’impulsion pour l’ensemble des pays européens. Un avis loin d’être partagé par Françoise Nicolas, pour qui la relation privilégiée entre la France et la Chine est illusoire. "On se complaît à croire ça depuis la reconnaissance en 1964 de la République populaire de Chine par De Gaulle, mais nous ne sommes plus une puissance de premier rang", assène-t-elle.
Faire passer un message clair
En dehors de cette question européenne, l’amélioration des relations franco-chinoise doit passer par la transmission d’un message clair : nous sommes alliés des États-Unis, mais nous ne sommes pas alignés. "On ne perçoit pas la Chine comme les États-Unis. Eux mettent en avant le concept des démocraties contre les autocraties. C’est une dichotomie que l’on n’accepte pas en France. On n’est pas dans une approche aussi confrontationnelle qu’eux", explique Françoise Nicolas.
Cependant, les efforts ne doivent pas être unilatéraux. "On est d'accord pour que la Chine se développe, mais il faut que ce développement se déroule dans des conditions loyales, en respectant les règles du jeu, à la fois au niveau commercial, mais aussi sur d’autres aspects comme les droits de l’homme ou le respect des frontières". Un "donnant-donnant", plus facile à dire qu’à faire…