Arithmétique politique britannique. Au Royaume de Sa Majesté, difficile d'exister en politique quand on n'est ni travailliste, ni conservateur. Et pour cause, le mode de scrutin, techniquement qualifié d' "uninominal majoritaire à un tour" et classiquement surnommé "first past the post" (le premier l'emporte, même s'il n'a pas la majorité, même s'il n'a qu'une voix d'avance), permet d'importants écarts entre le nombre de voix récoltées sur l'ensemble du pays et le nombre de sièges gagnés. De quoi susciter la colère de deux partis particulièrement désavantagés par cette règle du jeu lors de cette dernière élection générale : le Ukip et les Verts, qui totalisent à eux deux 5 millions de voix et … un député chacun au Parlement. Explications d'une arithmétique politique un peu spéciale.
Un système qui privilégie le bipartisme. Sur des élections générales comme celles qui se sont déroulées jeudi, et qui ont vu les conservateurs de David Cameron largement l'emporter, le territoire britannique est découpé en circonscriptions. 650 précisément, soit le nombre de sièges disponibles au Parlement de Westminster. Dans chacune de ces circonscriptions, le candidat qui réalise le meilleur score remporte le siège. Cette configuration profite bien évidemment aux partis les plus installés, ce qui explique la domination outrancière des travaillistes et des conservateurs sur la politique britannique depuis plus d'un siècle maintenant.
Ukip, Libdem et Verts s'offusquent. Lors des élections générales, le parti Ukip s'est imposé comme la troisième force politique du pays en nombre de voix recueillies : 3,8 millions d'électeurs, soir 12.6% des suffrages exprimés, sont revenus aux nationalistes eurosceptiques britanniques… pour un seul député. De quoi pousser Douglas Carswell, l'heureux élu, à critiquer le système ouvertement : "A travers le pays, cinq millions de personnes ont voté pour l'Ukip et pour les Verts. Cet échec à transformer ces cinq millions de votes en sièges est moins un reflet de comment mon parti ou les Verts ont fait campagne que du dysfonctionnement de notre système politique." Une réflexion amère immédiatement soutenue par le leader Ukip Nigel Farage, démissionnaire après sa défaite, qui estime venu "le temps d'avoir une réforme radicale du système politique."
The Economist très critique. Chez les Verts, le constat est à peu près semblable. Les écologistes se félicitent du score réalisé : 1,15 million d'électeurs convaincus par l'alternative "green", mais un seul député à Westminster. Au-delà des partis défavorisés par le mode de scrutin, The Economist écrit sans concession que "les arguments en faveur d'un scrutin à la proportionnelle sont écrasants". Et pour cause, l'hebdomadaire estime que "le lien entre les votes et les députés à la chambre des Communes est presque devenu aléatoire, c'est un échec du scrutin uninominal majoritaire à un tour."
Le SNP ravi. Pourtant, tous les petits partis ne se plaignent pas de la configuration actuelle. Surtout pas le SNP, le parti indépendantiste écossais, qui, malgré un faible nombre de voix en valeur absolue, (4,7% soit 1,4 millions d'électeurs), s'est imposé comme la véritable troisième force politique du pays en nombre de sièges. Avec 56 sièges, tous remportés sans surprise dans les circonscriptions écossaises, le SNP profite de la concentration de ses électeurs pour rafler le gros lot. Avec un million de voix de plus, les Libdems, en déroute totale, remportent 8 sièges seulement, sept fois moins que les indépendantistes écossais ! Face à ces critiques, David Cameron et les Tories, favorables à la conservation de ce système, devraient s'inspirer de la célèbre phrase de Churchill sur la démocratie pour balayer les critiques d'un revers de main : "le first past the post est un mauvais système, mais c'est le moins mauvais de tous les systèmes".