Les insultes et les menaces mises en sourdine, Donald Trump et Kim Jong Un se retrouvent mardi pour une rencontre historique. Pour la première fois, des dirigeants américain et nord-coréen vont s’asseoir à la même table afin d’évoquer la dénucléarisation du régime de Pyongyang. Après des semaines de rebondissements et de querelles entre les deux protagonistes, les homologues sont arrivés à Singapour lundi, à la veille de leur rencontre dans un hôtel de luxe de la cité-Etat. "Heureux d'être à Singapour, excitation dans l'air !", a tweeté dans la matinée Donald Trump, optimiste et impatient. Mais l’impulsivité bien connue du président américain pourrait trancher avec le côté plus secret de Kim Jong Un... Au risque de compromettre l’issue des pourparlers de paix ?
Impro vs inexpérience
Fidèle à lui-même, Donald Trump a brandi son manque d’expérience en diplomatie comme un atout, mi-flegme mi-impro, pour évoquer les préparatifs du sommet. "Je pense que je suis bien préparé mais je ne pense pas avoir besoin de me préparer tant que ça. C'est d'abord une question d'état d'esprit, de volonté de faire avancer les choses", avait-t-il déclaré jeudi. "Evidemment que les équipes américaines se sont préparées, et Trump aussi, mais il veut mettre en avant son style. Il répète à l’envie ces derniers jours : 'On verra bien'. Mais on a du mal à croire qu’il y va impréparé… Sinon ça serait terrifiant car ce qui est en jeu c’est la non-prolifération du nucléaire", nuance à Europe1.fr Marie-Cécile Naves, chercheuse à l’IRIS spécialiste des États-Unis et auteure de Géopolitique des États-Unis. Et pour preuve : le secrétaire d’Etat américain aux Affaires étrangères Mike Pompeo s’est rendu en personne à Pyongyang début mai en vue de préparer le sommet.
Quant à Kim Jong Un, aucun élément n’a filtré : "La Corée du Nord est certainement le pays le plus fermé du monde, on ne sait pas grand-chose sur la manière dont il se prépare à ce sommet", explique Pierre Rigoulot, historien des régimes communistes et auteur de Pour en finir avec la Corée du Nord. "À 34 ans, Kim Jong Un n’a pas une grande expérience diplomatique et c’est quelqu’un qui ne fait pas dans la nuance", rappelle l’historien. "Mais il semble plus entreprenant et plus audacieux que son père, Kim Jong Il." Le dirigeant nord-coréen a ainsi envoyé aux Etats-Unis la semaine dernière son chef des renseignements Kim Yong Chol, un homme plus expérimenté qui "connaît la musique des relations avec l’Occident" selon Pierre Rigoulot, pour travailler en amont aux pourparlers.
Deux hommes, un même style ?
À première vue, Donald Trump et Kim Jong Un n’ont rien en commun qui permettrait de sceller l’alliance lors du sommet. Quand l’un tweete à outrance, le second est dans le contrôle de sa rare parole… Et pourtant : les deux chefs d’État ont plus de points communs qu’il n’y paraît. "Les deux ont un ego surdimensionné et on est dans un culte de la personnalité de part et d’autre. Trump est fasciné par les dictateurs, il est dans le culte du moi, il associe le pays à lui et a une fascination pour le militaire et les parades militaires", détaille Marie-Cécile Naves, précisant que les deux leaders font des "mises en scène d’eux-mêmes très sacralisées". La chercheuse va jusqu’à dire que Donald Trump a une "opinion assez élevée de lui-même : il n’imagine pas l’échec, pour lui le monde est divisé entre les winners et les loosers. Il a une volonté de gagner, d’écraser l’ennemi. Et il ne craint pas le danger."
Au point que leur rencontre n’a failli jamais se faire. Les deux homologues se sont illustrés ces derniers mois dans une surenchère verbale des plus agressives : "homme-fusée" et "petit gros" pour qualifier Kim Jong Un, "psychopathe" et "gâteux américain mentalement dérangé" pour désigner Donald Trump… "C’est une rhétorique très guerrière, très viriliste, c’est à celui qui a la plus grosse fusée ! Et cette surenchère verbale a tendance à masquer le fonds des débats", relève Marie-Cécile Naves.
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Trump entend redorer son blason
L’inconnu Kim Jong Un et l’impulsif Donald Trump rendent ainsi l’issue de ce sommet pour le moins incertaine. Et c’est notamment le président américain qui risquerait bien de tout faire échouer : interrogé sur la possibilité de quitter la table des négociations si ces dernières s'avéraient stériles, Donald Trump n'a pas exclu l'hypothèse. "Je suis prêt à m'en aller (...) J'espère que ce ne sera pas nécessaire", avait-il dit. "Il y a un risque qu’il quitte subitement la table des négociations s’il voit que ça ne tourne pas à son avantage. Tout est possible avec Trump !", commente Marie-Cécile Naves. Dernière illustration ce week-end : le G7 s’est terminé sur un fiasco après la volte-face de Donald Trump, qui a menacé ses alliés d’alourdir les droits de douanes américains déjà tant décriés.
Mais pour ce qui est du sommet avec Pyongyang, Trump affiche un optimiste flamboyant, s’enthousiasmant déjà d’être le premier président américain en exercice à engager un dialogue direct avec un héritier de la dynastie des Kim - au point que ses proches lui souhaitent de décrocher un prix Nobel de la paix. "La communication exagère le fait que Trump fait le contraire de son prédécesseur qui a échoué. Trump veut passer pour celui qui va gagner la négociation. D’ailleurs il veut plus gagner la négociation que la paix véritablement", considère Marie-Cécile Naves, rappelant que le président américain est sorti de l’accord sur le nucléaire iranien, signe que "la paix ne le préoccupe pas vraiment".
Donald Trump est avant toute chose en quête de bons points dans l’opinion publique américaine, selon la chercheuse : "Le sommet va redorer son prestige national. Il répond là à des objectifs de politique intérieure, alors que les midterms de novembre sont encore loin d'être gagnées. C’est une manière de dire à son électorat qu’il est combatif." Mais le pari est risqué : un échec renforcerait le sentiment que le milliardaire volontiers provocateur n'a ni la discipline ni l'étoffe pour mener à bien des discussions internationales de haut-vol. "Si Kim prend le dessus dans les négociations, Trump tournera la communication à son avantage, il dira dans tous les cas qu’il a gagné", réplique Marie-Cécile Naves.
Kim en quête de reconnaissance
À la veille du sommet, c’est d’ailleurs Kim Jong Un qui apparaît en position de force, avec une stratégie bien rodée. "Son plan est accompli. Il s’est constitué un arsenal nucléaire, qui est en quelque sorte son assurance-vie. Le voilà désormais promu parmi les grandes nations nucléaires. Maintenant il va pouvoir négocier, et il veut surtout profiter de ce que le sommet a à offrir" à la Corée du Nord, explique Pierre Rigoulot. Kim Jong Un négocie par la même occasion une place dans le concert des nations : "Il joue sa reconnaissance sur le plan international."
Et selon l’historien, le leader nord-coréen pourrait même se prêter au jeu des caméras. "Ce n’est pas impossible qu’il parle aux médias occidentaux. Il va essayer de montrer que son pays est comme les autres, qu’il est le dirigeant d’un pays normal, et ne va pas du tout évoquer les exécutions publiques ou les camps... Il va tenter de normaliser." Reste que le bon déroulé du sommet ne tiendra pas seulement à la personnalité des deux têtes brûlées, mais aussi au fonds des discussions sur la dénucléarisation de Pyongyang. Un sujet qui promet d’être explosif au cours de ce tête-à-tête improbable.