Les Etats-Unis enverront prochainement à Taïwan leur délégation la plus éminente depuis qu'ils ont cessé en 1979 de reconnaître diplomatiquement l'île, un geste qui risque d'aggraver les tensions sino-américaines. Le bureau américain s'occupant des relations commerciales avec Taïwan a confirmé que le secrétaire américain à la Santé, Alex Azar, prendrait la tête de la délégation qui se rendra sur l'île. "Ceci marque (...) la première visite d'un membre du gouvernement en six ans", a déclaré l'Institut américain de Taïwan, ajoutant qu'aucun membre du gouvernement américain d'un tel rang ne s'y était rendu "depuis 1979".
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C'est cette année-là que les Etats-Unis avaient rompu leurs relations diplomatiques avec Taipei afin de reconnaître le gouvernement communiste basé à Pékin comme le seul représentant de la Chine. Ils restent toutefois, avec une certaine ambiguïté, l'allié le plus puissant du territoire insulaire et son principal fournisseur d'armes. Taïwan a confirmé la prochaine visite, précisant qu'Alex Azar rencontrerait à cette occasion la présidente Tsai Ing-wen.
"Confiance mutuelle"
"Le ministre Azar est de longue date un ami proche de Taïwan", a commenté dans un communiqué le ministère, précisant que cette visite était "une preuve des fondements solides de la confiance mutuelle" entre Washington et Taipei. Ni Taïwan, ni les Etats-Unis n'ont précisé la date de cette visite. En dépit des liens bilatéraux, les Etats-Unis étaient traditionnellement prudents dans la nature des contacts officiels bilatéraux.
Cela a cependant changé avec Donald Trump qui s'est rapproché de Taïwan à mesure que les relations se dégradaient avec Pékin sur nombre de sujets. Les succès remarquables de l'île contre le Covid-19 et son affirmation comme l'une des démocraties les plus progressistes d'Asie lui ont aussi valu un large soutien sur l'échiquier politique américain.
Peu après son élection, Donald Trump était devenu le premier président américain à s'entretenir avec son homologue taïwanais depuis 1979, quand Tsai Ing-wen l'avait appelé pour le féliciter. L'administration Trump a multiplié les ventes de matériel militaire sophistiqué à l'île, y compris celle, l'été dernier, de chasseurs. La dernière visite à Taïwan d'un membre du gouvernement américain avait été celle en 2014 du patron de l'Agence de protection de l'environnement. La précédente remontait à 2000, quand le secrétaire aux Transports de Bill Clinton s'était rendu sur l'île.
"Modèle de transparence"
Dans leurs communiqués, Washington et Taipei présentent la visite d'Alex Azar comme liée à la pandémie. En dépit de sa proximité géographique et commerciale avec la Chine continentale d'où est partie l'épidémie, Taïwan a enregistré moins de 500 cas de coronavirus, et sept décès, et ce grâce à une stratégie très poussée de dépistage et de traçage des contacts qu'avaient eu les malades. L'île a aussi pris très tôt l'initiative de fermer ses frontières.
"Taïwan a été un modèle de transparence et de coopération en matière de santé pendant la pandémie de Covid-19, et bien avant cela", a déclaré Alex Azar. La Chine ne devrait pas manquer de condamner cette visite, elle qui a déployé tous les efforts pour isoler encore plus l'île depuis l'arrivée au pouvoir en 2016 de Mme Tsai, issue d'une formation politique traditionnellement hostile à Pékin.
La République populaire de Chine considère Taïwan comme une de ses provinces. L'île est dirigée par un régime rival qui s'y était réfugié après la prise du pouvoir des communistes sur le continent en 1949, à l'issue de la guerre civile chinoise. Taïwan n'est pas reconnu comme un Etat indépendant par l'ONU. Et Pékin menace de recourir à la force en cas de proclamation formelle d'indépendance à Taipei ou d'intervention extérieure, notamment de Washington.
"Pékin s'opposera fortement à la visite et la verra probablement comme une preuve de plus du fait que l'administration Trump tourne le dos à la politique de la 'Chine unique'", a déclaré à l'AFP Bonnie Glaser, du Centre pour les études stratégiques et internationales. "Mais elle ne constitue pas un précédent et elle se justifie au regard de la performance exemplaire de Taïwan contre le Covid-19 et de l'exclusion de Taïwan de l'OMS sous pression chinoise."