"P*****", "M****"... Ces doux mots ne sont désormais plus audibles sur YouTube. La plateforme de vidéos en ligne a renforcé son outil de reconnaissance vocale en sanctionnant tous les créateurs prononçant des injures et des grossièretés. Cette affaire n'arrange pas les Youtubeurs. Certains d'entre eux, comme Djilsi, Linca ou Squeezie, ont dû ajouter des bips de censure ou des bruits d'animaux sur des vidéos déjà publiées afin d'en dissimuler tous les gros mots. Cette réglementation impacte directement le portefeuille des Youtubeurs.
Les vidéos ne respectant pas la règle sont démonétisées, les créateurs de contenus ne pouvaient plus tirer une rémunération de ces vidéos. La règle n'a pas manqué de déclencher la colère des youtubeurs : "Sachez qu'à moins d'être le créateur le plus poli du monde, YouTube nous casse bien les c**** avec sa nouvelle règle de démonétisation de gros mots", expose le Youtubeur Terracid sur Twitter.
Sachez qu’à moins d’être le créateur le plus poli du monde, Youtube nous casse bien les couilles avec sa nouvelle règle de démonétisation de gros mots
— Terracid (@terracid) January 8, 2023
C’est ridicule, la censure bousille la vidéo, et leur règle est rétroactive. Un simple « oh merde » suffit à démonétiser.
Un langage policé
Le fait n'est pas nouveau. Dans son règlement, YouTube indiquait déjà auparavant qu’un contenu pouvait être soumis à une limite d’âge, être supprimé ou avoir un avertissement s'il employait un usage excessif de langage vulgaire. Néanmoins, il semblerait que le durcissement des politiques du langage sur YouTube ne concernerait pas seulement les injures. Sur Twitter, le streamer Aypierre affirme même que certains mots seraient également bannis même s’ils ne sont pas des gros mots. Aypierre évoque les termes "ricains" (pour désigner un américain) ou "bled" (pour parler d'un pays) qui auraient provoqué des démonétisations.
ca va meme plus loin, "ricain" ou "du bled" par exemple sont considérés comme des profanités extremes (reel)
— Aypierre (@AypierreMc) January 8, 2023
Autre exemple : celui de Jean-Baptiste Toussaint, fondateur de la chaîne "Tales From The Click". Le créateur explique que l'une de ses vidéos a été supprimée de la plateforme car il a évoqué le suicide de Kurt Cobain, le chanteur du groupe Nirvana. "Ma vidéo sur Kurt Cobain a été supprimée car dedans je dis qu’il s’est… suicidé", explique le youtubeur dans le tweet. "Ça pose une vraie question. N’est-il désormais plus possible de raconter l’Histoire ? Faut-il la modifier en lui inventant une autre mort ?", poursuit-il. Auprès de Jean-Baptiste Toussaint, YouTube se justifie en expliquant que la vidéo du créateur n'aurait pas respecté le règlement de la plateforme relatif à l’automutilation.
Ma vidéo sur Kurt Cobain a été supprimée car dedans je dis qu’il s’est…suicidé. Ça pose une vraie question. N’est-il désormais plus possible de raconter l’histoire ? Faut-il la modifier en lui inventant une autre mort ?
— Tales From The Click (@TalesFromClick) January 17, 2023
Hello @YTCreateurs , possible de récupérer la vidéo ? pic.twitter.com/FmFQvpw4qP
Une nouvelle stratégie marketing
Si les créateurs de contenus se plaignent d'une nouvelle réglementation qui participe à démonétiser leurs vidéos, YouTube, de son côté justifie cette nouvelle règle par… une meilleure optimisation monétaire du contenu produit sur la plateforme : "YouTube a renforcé ses règles d’utilisation car son modèle économique est fondé sur la vente d’espaces publicitaires aux annonceurs. C’est ce qu’on appelle une entreprise 'Ad tech', qui met sa technologie et ses algorithmes au service de la vente de publicités. Avec la montée en puissance de TikTok, YouTube travaille à se positionner comme une "Creator first platform", qui rémunère ses créateurs plus et mieux que les autres plateformes, notamment en partageant ses revenus publicitaires", expliquent Zima et June, respectivement spécialiste en marketing et doctorante en sociologie. Elles animent sur YouTube la chaîne "Produit Internet" qui décrypte les ressorts du monde de la création de contenu.
"Les annonces récentes de YouTube vont dans ce sens : annonce des partages des revenus publicitaires des shorts à partir de février 2023, et renforcement des règles d’utilisation sur l’emploi des injures. Ces règles ont un nom très révélateur : les 'advertiser-friendly content guidelines'. La CEO de YouTube Susan Wojcicki publie chaque année une lettre où elle annonce les priorités de l’année pour l'entreprise. Dans sa lettre de 2022, elle l’a expliqué très clairement, YouTube travaille à réduire au maximum les contenus qui s’approchent des limites d’utilisation sans les enfreindre complètement", poursuivent-elles.
En apparence, la plateforme fait donc le pari de la vertu pour attirer les annonceurs. Pourtant, deux rapports accablent YouTube concernant la présence de vidéos haineuses et misogynes sur sa plateforme. Malgré des mesures prises ces dernières années, ces contenus circulent toujours en masse. Ainsi, le rapport du cabinet d'analyse Center for Countering Digital Hate, publié en septembre 2002, affirme que "la misogynie est bien présente sur YouTube", et que "les vidéos poussant à la désinformation, à la haine et aux complots purs et simples visant les femmes sont souvent monétisées". Pour arriver à cette conclusion, le rapport se base sur des mots-clés précis et a analysé les tendances de ceux-ci sur le web.
La deuxième étude, publiée par cabinet d’analyse Bot Sentinel, relate le refus de YouTube de démonétiser des vidéos diffusant du contenu haineux. Le rapport pointe également des chaines comme celle de Trevor Coult MC "raciste, misogyne, transphobe" qui sévit sur la plateforme depuis 11 ans, sans aucune sanction de la part de YouTube.