Va-t-on voir Emmanuel Macron prendre le soleil sur un transat au Fort de Brégançon, dans la touffeur du mois d'août ? C'est peu probable. Entre l'impact de la crise sanitaire du Covid-19 et la perspective de l'élection présidentielle dans moins de neuf mois, le chef de l'État devrait passer des vacances actives. Pas de quoi trancher, en somme, avec la pratique présidentielle des vacances depuis le début du 21e siècle, comme l'explique sur Europe 1 Pierrick Geais, journaliste et auteur de L'Élysée à la plage : dans l'intimité de nos Présidents en vacances (édition du Rocher).
Pourquoi les vacances des Présidents nous fascinent-elles autant ?
Ça nous fascine parce que c'est le moment où la frontière entre vie privée et vie publique du Président s'efface un peu. Lors de ses vacances, il se met en scène avec sa famille, avec son épouse, la première dame, qui a un rôle de premier plan pendant les vacances présidentielles, avec ses enfants et ses petits-enfants. Un peu comme avec une famille royale, avec les Windsor au Royaume-Uni, tout le monde se retrouve dans le Président en vacances, parce que le Président en vacances, il veut être un Français comme les autres en vacances.
Ces vacances ont évolué. Vous racontez notamment que pour Georges Pompidou, c'était du 14 juillet au 15 septembre. On n'imagine plus aujourd'hui un Président prendre deux mois de vacances.
Oui, c'était un mois et demi de vacances, il changeait trois fois de lieu de vacances en un mois et demi. Et puis, il prenait vraiment des vacances. Il avait son aide de camp qui lui apportait quelques dossiers à parapher un jour sur deux. Georges Pompidou travaillait très vite, donc ça lui prenait quelques heures. Mais il prenait le temps de faire des visites, de recevoir des amis, de réfléchir, d'écrire des écrits personnels, de la poésie, des mémoires. Donc, c'étaient des vraies vacances où le président prenait du recul sur lui, sur sa politique. Il prenait le temps de souffler et ça a beaucoup changé avec le passage du septennat au quinquennat.
Pourquoi ?
Depuis le passage au quinquennat, le président n'est jamais réélu et les Français considèrent qu'un président qui a cinq ans pour mettre en œuvre son projet, n'a pas le temps de souffler ni le temps de prendre des vacances. Vous imaginez Mitterrand, 14 ans de pouvoir, deux septennats, comme un roi, presque. On considérait qu'il avait besoin de prendre trois semaines, un mois, l'été, pour prendre du recul sur sa politique.
En 1976, Jacques Chirac, alors Premier ministre, est invité par Valéry Giscard d'Estaing au fort de Brégançon. Mais le président de la République a également invité son professeur de ski de Courchevel. C'est une vraie humiliation pour Jacques Chirac, au même niveau que le moniteur de ski. Quelques semaines plus tard d'ailleurs, il va quitter Matignon.
On dira d'ailleurs que cet épisode à Brégançon a précipité sa décision. C'est l'humiliation suprême, parce qu'il n'avait pas supporté d'être invité avec le moniteur de ski qui avait aussi une plage à Saint-Tropez. En plus, le moniteur de ski était venu en short avec sa femme venue avec une petite robe courte, pas du tout en tenue de soirée. Il avait trouvé que c'était l'humiliation suprême. Il a raconté que Valérie Giscard d'Estaing, ce jour-là, s'était assis sur un fauteuil qui ressemblait à un trône alors que lui était sur une sorte de chaise, de tabouret. Valéry Giscard d'Estaing va démentir cette histoire mais elle a couru dans tous les médias à l'époque.
Le président Valéry Giscard d'Estaing partait sans rien dire en Afrique, pour chasser en safari. Il n'était absolument pas joignable. Ce serait impensable aujourd'hui.
Il profitait toujours d'un voyage officiel mi-juillet en Afrique pour, après, aller faire une semaine de safari. Il voulait que son aide de camp soit à 20 kilomètres plus loin de son camp. Il ne voulait être dérangé en aucun cas, à part s'il y avait vraiment une énorme catastrophe. Il passait une semaine à chasser. Il se levait très tôt et il chassait toute la journée. Il voulait absolument tuer un élan de Derbi, qui est la plus grosse antilope d'Afrique. Vous imaginez aujourd'hui le scandale ? Déjà, à l'époque, c'était un peu caché. Les médias n'en savaient trop rien.
François Mitterrand était peut être le plus mystérieux avec sa bergerie de Latche et sa double vie avec Anne Pingeot à Gordes, dans le Luberon. Étaient-ce des moments de retrouvailles entre les deux amants ?
Complètement. François Mitterrand, lui, ne voulait pas aller à Brégançon, contrairement à ses prédécesseurs. Il a voulu faire cette coupure et donc, il a fait de Latche, sa bergerie dans les Landes, le lieu officiel du pouvoir, où il retrouvait sa famille officielle, des ministres, des dignitaires, des chefs d'Etat étrangers, ainsi que des journalistes aussi, qui le photographient. Une fois que les journalistes étaient partis, il allait retrouver sa maîtresse, Anne Pingeot, et sa fille Mazarine, à Gordes, dans le Luberon, où il avait acheté une toute petite maison. Ils se retrouvaient dans cette petite bulle familiale où, là encore, il ne voulait aucun conseiller, aucun garde du corps. Dans le Lubéron, on voyait le président qui était à peine caché. Il mettait un grand chapeau et des lunettes de soleil. On se demandait qui était la petite fille à ses côtés parce qu'à l'époque, on ne savait pas qu'il avait une petite fille illégitime. Mais on ne se posait pas plus de questions. Encore une fois, vous imaginez aujourd'hui, avec les réseaux sociaux, ça serait impossible.
Jacques Chirac, quant à lui, était plutôt mal à l'aise en vacances. Il voulait ressembler à un Français normal et ça fonctionnait assez mal.
Jacques Chirac a fait son premier été à Brégançon et son dernier été à Brégançon. Il était descendu pour une promenade avec un polo et un short. Il portait des chaussures de costume avec des grandes chaussettes noires. On sentait la maladresse de la communication de Jacques Chirac, comme quand il avait reçu Madonna pour un concert au parc de Sceaux avec un casque sur les oreilles et un sweat à capuche. Il voulait faire 'Français comme les autres' mais il n'y arrivait pas trop.
Emmanuel Macron va partir dans quelques jours à Brégançon pour des vacances 'déterminé et concentré'. Ce ne sont pas vraiment des vacances, si ?
Non, Emmanuel Macron ne prend pas vraiment de vacances. Il part trois semaines à Brégançon mais c'est du télétravail. Il change simplement de décor. Aujourd'hui, on ne peut plus prendre de vacances, ce ne serait pas accepté. Vous imaginez un président qui est photographié sur un transat alors qu'il y a une crise sanitaire ? C'est impossible. Emmanuel Macron va présider un conseil de défense sanitaire pendant ses vacances, va travailler du matin jusqu'au soir et va certainement prendre le temps d'une petite baignade le soir avec les petits-enfants de Brigitte Macron. Mais ce sera tout.