"On avait 'saison 1 : Benalla et la police parallèle' et maintenant on risque d'avoir 'saison 2 : Benalla et la diplomatie sécuritaire parallèle'." Le bon mot est signé François Grosdidier, sénateur Les Républicains (LR) et membre de la commission des Lois du Sénat, qui reprend mercredi ses auditions dans le cadre de l'affaire Benalla. Après avoir entendu des membres de l'entourage proche d'Emmanuel Macron, plusieurs hauts responsables policiers et Alexandre Benalla en personne entre juillet et octobre dernier, la commission d'enquête, qui a déjà procédé à 28 auditions en tout, reprend ses travaux mercredi, à l'aune des derniers rebondissements dans cette affaire.
En décembre, le site Mediapart avait révélé que l'ancien chargé de mission, mis en examen pour son comportement lors de la manifestation du 1er-Mai, à Paris, avait continué à utiliser ses passeports diplomatiques, notamment pour se rendre au Tchad, après son départ de l'Élysée, acté l'été dernier. Et, cette semaine, Le Canard enchaîné explique qu'Alexandre Benalla avait également conservé un téléphone crypté et deux autres "passeports spéciaux".
Avant l'ancien chargé de mission et Vincent Crase, ex-salarié de La République en marche, lui aussi mis en examen après la manifestation du 1er-Mai, qui doivent être auditionnés lundi prochain, la commission d'enquête entendra mercredi après-midi deux ministres, celui de l'Intérieur, Christophe Castaner (à 16h30), et celui de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian (à 17h45), ainsi que le directeur de cabinet du président de la République, Patrick Strzoda (15 heures).
Pourquoi Alexandre Benalla était-il encore en possession de ses passeports diplomatiques ?
C'est sans doute la question centrale autour de ces nouvelles auditions. Après les révélations de Mediapart, la commission avait demandé des explications à l'Élysée et au gouvernement le 28 décembre sur "les conditions dans lesquelles M. Alexandre Benalla a pu faire usage de passeports diplomatiques" après son licenciement. Le site avait révélé que l'ancien collaborateur d'Emmanuel Macron disposait toujours de passeports diplomatiques et qu'il effectuait des voyages d'affaires auprès de dirigeants africains.
Lors de son audition devant le Sénat, en septembre, Alexandre Benalla avait indiqué que ses passeports "étaient au bureau qu'il occupait à l'Élysée" et que "l'Élysée avait dû s'en occuper". Dans un entretien au Journal du dimanche fin décembre, l'ancien collaborateur d'Emmanuel Macron avait précisé : "Quand j’ai répondu aux sénateurs, le 19 septembre, les passeports se trouvaient bien dans mon ancien bureau à l’Élysée, comme je l’ai dit. Ils m’ont été restitués par la Présidence début octobre avec mes effets personnels." Du côté de l'Élysée, en revanche, on explique qu'aucun passeport n'a été remis ni rendu. Selon le Quai d'Orsay, deux demandes ont été faites en ce sens, l'une fin juillet, l'autre mi-septembre, mais sont restées sans réponse, ce qu'a démenti l'entourage d'Alexandre Benalla. C'est pour notamment éclaircir cet épisode précis que la commission a convoqué mercredi Jean-Yves Le Drian, qui n'a pas encore été entendu dans cette affaire. Alexandre Benalla a rendu ses passeports diplomatiques le 9 janvier dernier.
À la question de ces passeports, s'ajoutera sans doute celle des autres documents qu'aurait conservés Alexandre Benalla après son départ : deux autres passeports spéciaux, dont un lui avait été une nouvelle fois accordé après sa mise à pied de mai 2018, mais aussi un téléphone crypté. D'après Le Canard enchaîné, qui révèle cette information dans son édition datée de mercredi, ces objets ont été restitués à la présidence et au ministère de l'Intérieur le 11 janvier par l'avocate d'Alexandre Benalla. Christophe Castaner, qui n'était pas encore Place Beauvau quand il avait été auditionné une première fois dans cette affaire, devrait notamment être interrogé sur ce point.
À quoi ces passeports lui ont-ils servi ?
Le volet passeports de l'affaire Benalla comporte deux éléments bien distincts : pourquoi les avait-il encore après son départ de l'Élysée et dans quelles circonstances les a-t-il utilisés ? Le fait qu'il se soit rendu au Tchad début décembre, quelques semaines seulement avant un déplacement du chef de l'État, soulève des interrogations. "S'il avait utilisé simplement les passeports par commodité pour aller en vacances à l'île Maurice, pas de problème. Quand il va voir le frère du président du Tchad, qui a un rôle éminent en matière de sécurité et d'importation d'armes au Tchad et qu'il le fait avec un passeport officiel, on peut quand même s'interroger sur le rôle réel de M.Benalla dans une diplomatie parallèle", souligne François Grosdidier.
Le 29 décembre, le parquet a ouvert dans ce dossier des passeports une seconde enquête pour "abus de confiance" et "usage sans droit d'un document justificatif d'une qualité professionnelle". Le chef de cabinet d'Emmanuel Macron, Patrick Strzoda, qui sera le premier à être entendu par le Sénat mercredi, a été interrogé la semaine dernière par la police judiciaire à ce sujet.
Par ailleurs, les sénateurs de l'opposition devraient élargir le débat à la relation entre Emmanuel Macron et Alexandre Benalla après le départ de ce dernier de l'Élysée. L'ancien collaborateur a indiqué avoir échangé "sur des thématiques diverses" avec le président depuis son licenciement. Le chef de l'État a admis avoir échangé seulement avec lui via deux messages succincts.
Alexandre Benalla a-t-il exercé des activités privées quand il travaillait encore à l'Élysée ?
Des demandes d'éclaircissements devraient également être formulées concernant d'éventuelles activités privées, notamment dans le domaine de la sécurité, réalisées par Alexandre Benalla quand il travaillait encore pour l'Élysée, mais aussi par Vincent Crase. À ce titre, il est possible que la commission interroge l'ancien salarié de LREM sur les informations de Mediapart concernant un virement de 294.000 euros effectué par un oligarque russe à la société Mars Conseil, dont Vincent Crase est le seul actionnaire, virement effectué en juin dernier quand celui-ci était encore rémunéré par le parti d'Emmanuel Macron au titre de "responsable adjoint sûreté et sécurité".
Il n'est pas impossible non plus que certains sénateurs se hasardent à interroger Alexandre Benalla sur certains de ses contacts, notamment à l'étranger, tels qu'ils ont été révélés par Libération.
Le président de la commission sénatoriale Philippe Bas (LR) et ses rapporteurs Jean-Pierre Sueur (PS) et Muriel Jourda (LR) entendent dans tous les cas ne pas se limiter à l'affaire des passeports mais souhaitent la replacer dans un contexte plus global, afin de déterminer s'il y a eu des dysfonctionnements dans les rouages de l'État et à quels niveaux. "Il est temps que la vérité soit faite sur l'affaire Benalla", a tonné le 4 janvier dernier, dans Le Figaro, Philippe Bas, qui ne souhaite pas, visiblement, une saison 3…
Pas de nouvelles auditions à l'Assemblée nationale. Le 1er janvier, la députée LREM Yaël Braun-Pivet, présidente de la Commission des Lois de l'Assemblée nationale, a fermé la porte à la nouvelle convocation d'une commission d'enquête au Palais Bourbon. "Les dernières révélations relatives aux agissements de Monsieur Benalla ne relèvent pas du périmètre précis fixé en juillet", a-t-elle estimé dans un communiqué. Rappelons qu'à la différence de l'Assemblée, le Sénat, lui, est à majorité de droite, LREM ne disposant que de 22 sièges sur les 348 de la chambre haute du parlement.