Vendredi après-midi à l’Elysée, François Hollande a reçu les filles et avocates de Jacqueline Sauvage, cette femme condamnée à dix ans de réclusion pour le meurtre de son mari violent. Le président de la République est sous pression : les appels de grâce présidentielle d'une partie de la classe politique ou de l'opinion publique se sont multipliés. Mais d’autres mettent en cause une prérogative présidentielle dépassée, un héritage archaïque de l’Ancien régime qu’il serait bon de jeter aux oubliettes. Europe 1 fait le point avec deux spécialistes du droit constitutionnel.
- La grâce présidentielle, d’où ça vient ?
"C’est un droit régalien qui trouve sa source dans le pouvoir du roi", explique Pascal Jan, professeur de droit constitutionnel à Sciences Po Bordeaux. "On le qualifie souvent de survivance monarchique au temps où le roi rendait la justice mais de manière arbitraire, ce qui explique la réticence vis-à-vis de cette prérogative", poursuit-il. La grâce présidentielle avait été abolie par les révolutionnaires qui l’avaient remplacée par l’amnistie législative. Elle a fait son retour avec Napoléon.
- Que dit notre droit ? Comment ça marche ?
La grâce présidentielle porte un numéro : l’article 17 de la Constitution. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le texte de l’article dispose que "le président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel". Elle ne peut donc plus être collective, comme c’était le cas le 14 juillet, jour de la fête nationale. Contrairement à l’amnistie, la condamnation reste inscrite dans le casier judiciaire. C’est également le seul décret à ne pas être publié au Journal officiel.
La demande de grâce peut être formulée par plusieurs personnes : le condamné lui-même, son avocat, ses proches, une association ou encore par le Parquet. C’est la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice qui instruit le dossier. Elle dresse les arguments pour et contre la remise de grâce. Un projet de décret est ensuite envoyé au chef de l’Etat qui a le droit de ne pas y répondre. Il n’a pas non plus à motiver sa décision.
- Quels sont les critères pour y recourir ?
S’il n’y a pas de conditions particulières pour prétendre à une grâce présidentielle, la peine doit être néanmoins exécutoire et définitive. Le condamné ne doit plus avoir aucune autre voie de recours. La grâce ne peut pas non plus concerner le retrait total ou partiel de points du permis de conduire, car il s’agit d’une sanction administrative et non d’une peine.
- Quelles sont les grâces présidentielles les plus marquantes ?
La grâce présidentielle est de moins en moins utilisée par nos chefs d'Etat. François Hollande ne l’a utilisé qu’une fois et partiellement. En 2014, il a permis la libération conditionnelle du plus ancien détenu de France, Philippe El Shennawy mais sans l’étendre à sa peine. Nicolas Sarkozy avait fait de même en accordant des remises de peine en 2009 à une trentaine de détenus, particulièrement méritants. Il y aussi et bien sûr le cas symbolique d'Omar Raddad. Condamné en 1994 à 18 ans de réclusion pour le meurtre de Ghislaine Marchal, il bénéficie d’une réduction de peine, de quatre ans à huit mois, à la suite d’une grâce présidentielle octroyée par Jacques Chirac.
Il faut aussi se souvenir d’un temps plus ancien, avant 1981 alors que la peine de mort était encore en vigueur. Le président de la République dispose alors d’un véritable pouvoir de vie ou de mort sur le condamné. Philippe Meurice, qui fût le dernier condamné à mort pour meurtre, fût ainsi gracié par François Mitterrand en 1981.
- Ce droit de grâce est-il toujours en phase avec notre époque ?
Pour Anne Gaudin, maître de conférences en droit public à Sciences Po Bordeaux, "il n’est pas absurde que le président de la République use de ce droit. Il est le garant de la cohérence nationale, il doit aussi tenir compte des circonstances exceptionnelles et diminuer une peine avec ce geste de compassion". "Nous ne sommes pas à l’abri d’une erreur judiciaire même avec un double degré de juridiction", ajoute-t-elle.
Pascal Jan est plus critique. Le constitutionnaliste évoque deux notions fondamentales qui peuvent être mises en cause avec ce droit : la séparation des pouvoirs et l’Etat de droit puisque le "président de la République interfère dans une décision de justice". "Cela pouvait s’expliquer lorsqu’il y avait la peine capitale, le chef de l’Etat statuait en conscience mais c’est vrai qu’aujourd’hui, le maintien ne se justifie pas forcément", poursuit-il. "Et puis les procédures juridictionnelles ont été renforcées depuis sous l’effet de la Cour européenne des droits de l’homme. La personne est désormais condamnée par deux fois par un jury populaire". Pascal Jan craint aussi que si l’on accorde la grâce présidentielle à Jacqueline Sauvage, cela puisse constituer un précédent inquiétant : "il y a la crainte d’une rupture d’égalité. Si une personne se trouve dans un état similaire et qu’elle ne bénéficie pas de la pression médiatique et populaire… Et puis dans ce cas, Jacqueline Sauvage n'a pas épuisé toutes les voies de recours puisqu’elle n'est pas allée en cassation". La décision est désormais dans les mains de François Hollande.