Allongement du délai d'IVG : la réforme dont Macron ne voulait pas

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Nicolas Beytout , modifié à
Les députés ont adopté dans la nuit de mardi à mercredi une proposition de loi "visant à renforcer le droit à l'avortement". Cette loi contient le rallongement du délai d'IVG de 12 à 14 semaines. Une réforme dont ne voulait pas Emmanuel Macron, mais qui satisfait l'aile gauche de la Macronie.
EDITO

L’Assemblée nationale a adopté, tard dans la nuit de mardi à mercredi, une proposition de loi prolongeant de 12 à 14 semaines le délai légal de l’interruption volontaire de grossesse. Très critiquée à droite, la proposition de loi ne faisait pas non plus l'unanimité au sein de la majorité. Notre éditorialiste Nicolas Beytout revient sur la curieuse histoire de cette loi qui doit encore passer par le Sénat.

2.000 femmes concernées par an

Il y a plus d’un an, une partie de la majorité (en fait son aile gauche) s’est émue de la situation des femmes qui, chaque année, veulent avorter mais ne le peuvent pas parce qu’elles ont dépassé le délai légal des 12 semaines de grossesse. Elles seraient environ 2.000 à être concernées. Quelques-unes renoncent, d’autres vont se faire avorter à l’étranger, notamment aux Pays-Bas où l'IVG est autorisé jusqu'à 22 semaines.

Qu’à cela ne tienne, pour mettre fin à cette situation de détresse, l’idée des députés (largement cornaqués par des groupes de militantes féministes) est simple : on allonge le délai de deux semaines (et donc, pour être clair, on fait passer la limite légale de 3 mois à 3 mois et demi). Une première proposition de loi est votée en ce sens, mais elle est retoquée au Sénat dans des conditions assez ubuesques : les sénateurs La République en Marche n’en veulent pas. Ce sont donc les socialistes qui reprennent la balle au bond, et qui bien sûr échouent face à la majorité de droite. Rideau.

Une loi votée contre l'avis de Macron

C’est donc ce texte, recalé une première fois au Sénat, qui est revenu à l’Assemblée. C’est un parcours très classique. En somme, rien de curieux, jusqu'ici. Ce qui est étonnant, c'est que cette loi a été votée par la majorité En Marche contre l’avis d’Emmanuel Macron. L’an dernier, déjà, le chef de l’Etat s’était montré réservé et il avait exprimé sa gêne cet été dans un entretien au magazine Elle : "L’IVG est une conquête immense pour les femmes et pour les hommes, avait-il expliqué. Mais je mesure le traumatisme que c’est d’avorter."

Il y a quelques jours, il a franchi un pas supplémentaire en déclarant au Figaro que "des délais supplémentaires (passer de 12 à 14 semaines), ce n’est pas neutre". Ces déclarations intervenaient juste avant la visite du chef de l'Etat au pape François. Une manière de dire qu’il est carrément hostile à cette réforme.

Un trophée pour l'aile gauche de la Macronie

Mais voilà : Christophe Castaner, le patron des députés LREM l’a maintenue dans le calendrier parlementaire et il a laissé ses troupes de l’Assemblée la voter. C’est un chef de la trempe de ceux qui suivent leurs troupes. Et la raison pour laquelle il se laisse diriger ainsi, c’est que cela permet à cette fameuse aile gauche de la Macronie d’accrocher un trophée dans la catégorie "réformes sociétales". Il y avait eu la PMA pour toutes, on y rajoute l’avortement légal jusqu’à 14 semaines. Ça, c’est un signal de gauche qui pourra un brin compenser le bilan de ce président qui, à leurs yeux, est décidément de droite.

Le texte doit maintenant repasser par le Sénat. Comme attendu, les sénateurs En Marche ne vont pas le voter. Mais il y a plus curieux encore : les socialistes non plus n’en veulent pas. Ils en ont assez de jouer les supplétifs d’un parti En Marche qui n’est pas au clair dans ses débats internes. Bilan de l’opération : la gauche de la Macronie vote un texte contre l’avis du président de la République et d’une partie du gouvernement, qui s’y dit hostile mais décide de ne rien faire pour s’y opposer, tout en sachant que la réforme n’a aucune chance d’être adoptée.

La réforme mérite des débats

On pourrait comprendre ce genre de petits tours de passe-passe s’il s’agissait d’un sujet anodin. Mais tout de même, la faculté de médecine a alerté sur les dangers physiques et psychologiques que cela représentait pour la femme (à 14 semaines, le fœtus est beaucoup plus développé). Et puis, où s’arrêter (le délai avait déjà été porté de 10 à 12 semaines il y a 20 ans). Tout cela mérite sûrement autre chose que des arrangements avec la procédure parlementaire et des votes expédiés nuitamment.