Condamnations en pagaille et réunion de crise interministérielle lundi matin à l’Elysée : l’exécutif a réagi vite et fort après l’annonce mercredi dernier par Alstom de la quasi-fermeture de son site de Belfort. C’est que l’affaire est hautement symbolique et politique. Et à huit mois de la présidentielle, le gouvernement et François Hollande doivent tout faire pour que le dossier ne laisse pas trop de traces dans l’opinion. L’Elysée et Matignon sont en fait échaudés par des épisodes précédents. Car ce n’est pas la première fois que les soubresauts de ce fleuron de l’industrie française empoisonnent leur vie.
L’épisode General Electric
Hasard funeste du calendrier, c’est un an jour pour jour après la fermeture des hauts fourneaux de Florange, qui a été vécue comme une trahison, en tout cas par un aveu d’impuissance, par les salariés du site mosellan et par nombre d’électeurs de François Hollande qu’Alstom s’est invité dans l’agenda gouvernemental. Le 24 avril 2014, les premières informations sur un rachat partiel de la société française par l’Américain General Electric fuitent. Inacceptable pour le gouvernement. D’abord parce qu’Arnaud Montebourg, ministre de l’Economie à l’époque, est le chantre du patriotisme économique, et voir l’une des principales entreprises françaises changer, même partiellement, de pavillon, cela fait mauvais genre. Ensuite parce que la branche énergie d’Alstom produit des turbines à vapeur qui équipent des centrales nucléaires, et en la matière, l’Etat tient à sa souveraineté. Enfin parce qu’évidemment, cela apporte de l’eau au moulin de l’opposition, qui a beau jeu de dénoncer l’abandon du pouvoir face au démantèlement de l’industrie française.
Pendant deux mois, le sujet est au cœur des discussions politiques. Et le gouvernement, lui-même tiraillé, peine à sortir de l’ornière. Il y parvient finalement à la fin du mois de juin 2014. General Electric a gain de cause, et peut acheter la branche énergie moyennant 12,35 milliards d’euros. Pour sauver la face, l’exécutif met en avant trois (petites) victoires. Un droit de veto concernant les fameuses turbines à vapeur d’abord. La garantie d’une création de 1.000 emplois sur trois ans par le géant américain ensuite. L’entrée au capital d’Alstom, à hauteur de 20%, enfin. Cette dernière mesure ravit particulièrement Arnaud Montebourg, grand promoteur de nationalisation partielle. C’est pourtant elle qui revient comme un boomerang à la tête du gouvernement aujourd’hui.
Macron, Montebourg et les 20%
Car c’est bien parce que l’Etat est le plus gros actionnaire d’Alstom, sans être majoritaire, que le gouvernement est bien embêté. L’opposition s’est en effet fait un plaisir d’en profiter. "Comment l'État peut-il accepter que son coactionnaire annonce la fermeture du site sans qu'il soit au courant?", s'est ainsi étonné l'ex-chef de l'État Nicolas Sarkozy dans le Journal du Dimanche.
Et l’affaire fissure aussi la gauche. Depuis La Rochelle, au côté des députés PS frondeurs, Arnaud Montebourg s’en est ainsi pris à Emmanuel Macron, sans le nommer. "Je me souviens que, dans le salon vert du palais de l'Elysée, le secrétaire général adjoint du même palais (Emmanuel Macron à l'époque) avait déclaré lorsque j'avais demandé 20% du capital pour l'Etat : nous ne sommes quand même pas au Venezuela", a raconté l’ancien ministre de l’Economie. "Me succédant dans les fonctions de ministre de l'Économie, il avait la charge d'utiliser ces 20%, et ces deux hauts fonctionnaires qui siègent au conseil d'administration d'Alstom. Mais on a laissé faire, on ne s'y est pas intéressé, on a reçu des rapports, on ne les a pas lus. Je considère qu'il y a là une très grave faute eu égard aux intérêts industriels et patriotiques de notre pays", a-t-il insisté.
Voilà donc une nouvelle fois le gouvernement dans l’obligation de gérer une affaire Alstom. C’est tout c’est tout de même grâce à ces 20% du capital qu’il possède une marge de manoeuvre. Mais la pression de l’Elysée, qui, selon Michel Sapin, ministre de l’Economie et des Finances, a fixé comme objectif le maintien de l’activité à Belfort, est grande. Et le temps presse.