Les divorces longs et douloureux sont monnaie courante. Celui entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, après le vote britannique favorable au Brexit en 2016, est un modèle du genre. Il y a un an jour pour jour, le 19 juin 2017, commençaient les négociations entre les deux parties. Un an plus tard, et alors que la sortie du Royaume-Uni est prévue pour mars 2019, le chemin semble encore très long. La Première ministre britannique, Theresa May, temporise tant qu'elle peut pour éviter une rupture brutale. Ce qui, aux yeux des Européens, passerait même pour de la mauvaise volonté.
Dès août 2017, soit à peine deux mois après le début des négociations, l'Union européenne avait tapé du poing sur la table, enjoignant les Britanniques à négocier "sérieusement" – ce qui sous-entendait donc qu'ils ne l'avaient pas fait jusque-là. "Je suis préoccupé, le temps passe vite", déclarait à l'époque Michel Barnier, le "monsieur Brexit" de l'Europe. "Londres continue à vouloir le beurre et l'argent du beurre." Soit le maintien des bénéfices liés aux accords commerciaux, sans pour autant régler les factures.
Quelques avancées. L'argent était l'un des trois principaux points d'achoppement des discussions. Pour compenser les engagements financiers déjà pris par le Royaume-Uni dans le cadre de budgets européens passés, notamment, l'Union européenne réclamait au moins 50 milliards d'euros à l'Albion qui fait défection. Celle-ci n'était prête à débourser qu'un peu plus de 20 milliards. Finalement, en décembre dernier, Royaume-Uni et Union européenne se sont accordés sur une méthodologie de calcul, qui devrait porter la facture à un peu plus de 40 milliards d'euros. Voilà donc ce premier point réglé.
Sur le second aussi, une entente a été trouvée. Il s'agissait du statut des expatriés européens vivant au Royaume-Uni. L'accord de décembre entre Londres et Bruxelles a permis d'y voir plus clair : les citoyens européens qui se sont installés en Angleterre avant le Brexit conserveront les mêmes droits.
Une période de "transition" négociée. Mais il reste de nombreux détails à régler. Le Royaume-Uni continue de vouloir rester, même après le Brexit, un partenaire économique privilégié de l'Union européenne. Ce que personne ne conteste. Mais faut-il qu'il se maintienne dans le marché unique et l'union douanière ? Ou doit-il en sortir, pour ensuite passer des accords bilatéraux avec chaque pays ? Non seulement Européens et Britanniques ne parviennent pas à s'entendre, mais au sein même du Royaume-Uni, partisans et opposants au Brexit se déchirent sur la question. Jusqu'ici, Theresa May a réussi à gagner du temps en négociant, en mars dernier, une période de "transition". Entre 2019 et 2020, Londres ne participera plus aux décisions de l'Union européenne, mais devra continuer d'en appliquer les règles en échange des bénéfices du marché unique et de l'union douanière. Ce qui lui permettra, en parallèle, de commencer à négocier des accords de libre-échange avec des pays tiers.
Au moment de la signature de cet accord de transition, Theresa May avait admis -dans une formule pour le moins alambiquée- vouloir prendre son temps. "Ce qui devient clair, c'est que parfois les calendriers fixés au départ ne sont plus ceux qui sont nécessaires quand on entre dans les détails et qu'on creuse ce qu'on veut vraiment être en mesure de réaliser", avait-elle lâché. Une note de l'administration des douanes publiée au printemps évaluait même à cinq ans la durée nécessaire pour que le Royaume-Uni trouve un partenariat douanier avec l'Union européenne.
Le problème irlandais. À ces discussions économiques s'ajoute le troisième point le plus préoccupant, susceptible de faire capoter toutes les négociations : l'Irlande. En cas de Brexit pur et simple, qu'adviendra-t-il de la frontière entre l'Irlande du Nord, rattachée au Royaume-Uni, et la République d'Irlande au Sud ? En décembre, l'accord prévoyait que Londres maintienne en Irlande du Nord une législation alignée sur celle du marché unique et de l'union douanière européens. Autrement dit, pas question de rétablir une frontière physique entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande. Mais rien n'a été décidé sur la mise en place concrète de ce dispositif. Un simple déplacement de la frontière entre l'Irlande du Nord et l'Angleterre est évidemment exclu. Toutes les suggestions faites par les divers partis britanniques ont été jugées inacceptables ou fantaisistes par Bruxelles.
" Une négociation ne doit pas être une partie de cache-cache. Pour négocier de manière efficace, vous devez savoir ce que l'autre partie veut. "
Le problème irlandais est tel que Theresa May envisage même, selon Le Monde, de reculer le Brexit à 2023, en prolongeant de trois ans la transition déjà négociée. Le temps, justifie la Première ministre britannique, de mettre au point des technologies qui permettraient de créer une frontière "invisible" entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord.
L'Europe s'impatiente. Ces derniers jours, les discussions se sont encore tendues entre le Royaume-Uni et l'Europe. "Une négociation ne doit pas être une partie de cache-cache", a tonné Michel Barnier fin mai. "Pour négocier de manière efficace, vous devez savoir ce que l'autre partie veut." Le problème est pourtant que nul ne sait, tant les Britanniques sont divisés. Et Theresa May paraît avoir de moins en moins de marge de manœuvre. Lundi, la Chambre des Lords a voté à une large majorité un amendement offrant au Parlement britannique un droit de veto sur l'accord final du Brexit. Autrement dit, tout pourrait s'écrouler au dernier moment avec un vote défavorable si cet amendement est aussi adopté, mercredi, par la Chambre des Représentants.
Pendant ce temps, l'horloge tourne. Le traité finalisant le retrait doit en théorie être signé le 31 octobre prochain, pour qu'il ait ensuite le temps d'être approuvé par les 27 pays membres de l'Union européenne et le Parlement britannique. Le tout, avant le 29 mars 2019.