Internet offre régulièrement à des anonymes des heures de gloire plus ou moins longues. La dernière en date s'appelle Jacline Mouraud, vient du Morbihan et elle est sortie de ses gonds, le 18 octobre dernier, dans une vidéo qui a depuis dépassé les 5 millions de vues. Face à la caméra de son smartphone, la quinquagénaire a enregistré 4 minutes 37 secondes de coups de gueule contre la politique gouvernementale, notamment la hausse des prix du carburant. Aujourd'hui, elle est devenue l'un des symboles de la grogne sociale qui s'amplifie avant la journée de mobilisation prévue le 17 novembre prochain.
Cadrage serré et ton direct. À 51 ans, Jacline Mouraud n'en est pas à son coup d'essai. En avril 2017 déjà, elle avait tourné une vidéo très similaire à celle-ci. Même cadrage serré, même ton direct et même principe : râler, avant de poster ça sur Facebook. À l'époque, sa colère était plus généralement tournée contre tous "ces politiciens de merde". "Vous dégagez, c'est ça que veut le peuple", disait-elle. Un an et demi plus tard, c'est bien Emmanuel Macron qu'elle a voulu interpeller, après avoir entendu à la télévision un sujet sur les péages urbains autour des grandes villes. "Quand est-ce que se terminera la traque au conducteur que vous avez mis en place depuis que vous êtes là ?" demande-t-elle donc au président avant de dénoncer pêle-mêle la hausse du diesel, les radars, les nouveaux contrôles techniques et la carte grise sur les vélos. "Qu'est-ce que vous faites du pognon ? C'est la question que tout le monde se pose !"
Une quinqua "comme tous les Français". Jacline Mouraud se revendique apolitique, explique dans une autre vidéo qui date du 31 octobre qu'elle n'est "pas encartée" et ne l'a "jamais été de [sa] vie" car elle pense que les politiques "sont tous corrompus". Selon elle, ce qui explique le succès de son coup de gueule devenu viral, c'est que bon nombre d'internautes se sont sentis concernés. "Je pense que cela a canalisé la colère des Français", justifie-t-elle dans une vidéo YouTube. "Ce coup de gueule a canalisé toutes les forces en train de se fédérer." La quinquagénaire n'a de cesse de souligner, dans ses nombreuses interventions sur les réseaux sociaux, qu'elle est "comme tous les Français". "Tous les mois, je vis à découvert et rends à la banque de l'argent que je n'ai pas."
Hypnose et ectoplasmie. Lorsqu'elle n'est pas devant la caméra de son smartphone, Jacline Mouraud est auteur-compositeur, d'après son compte Facebook, qui indique qu'elle chante dans des guinguettes et des bals musette. En 2014, elle avait d'ailleurs composé un nouvel hymne français, "France si belle", qui se voulait plus optimiste et moins belliqueux que "La Marseillaise". La quinquagénaire est aussi hypnothérapeute sous le régime auto-entrepreneur. En 2013, elle s'était lancée avec une amie medium dans le business de l'organisation de séances d'ectoplasmie. Le principe : la matérialisation de "fantômes" par cette medium elle-même plongée sous hypnose. Le tout est (très) longuement expliqué en deux vidéos sur la chaîne YouTube SpectralNews, qui fait la part belle aux contacts avec les défunts, à la géométrie sacrée et autres séances chamaniques.
Complotisme. La rigueur scientifique n'est pas toujours au rendez-vous dans les publications de Jacline Mouraud. Le 27 mai 2017, elle disait "écouter Macron parler du climat au G7 tout en observant les chemtrails du jour", du nom de cette théorie un brin complotiste selon laquelle les traînées blanches laissées par les avions sont en réalité de l'épandage de produits chimiques dans le cadre d'opérations secrètes. Dans une vidéo postée le 31 octobre, l'auto-entrepreneuse a également déclaré que "des sites disparaissent sur la Toile, ils commencent à avoir peur", sous-entendant sans plus de précisions des opérations de censure à l'égard des blocages prévus le 17 novembre.
"Le peuple est capable de se fédérer tout seul". Aujourd'hui, c'est bien cette journée que Jacline Mouraud garde en tête. La Bretonne enchaîne les interventions médiatiques et les publications sur Facebook, YouTube et Snapchat. "On ne lâche rien, on continue", martelait-elle dans une vidéo fin octobre. Invitée sur la chaîne Facebook Saber Solo Seven pour rejouer la lutte des petits contre les puissants pendant plus d'une heure, la pétulante quinquagénaire a développé sa vision des manifestations : un mouvement qui partirait de la base et se passerait de toute récupération politique. "Les partis politiques, on a dit qu'ils n'étaient pas les bienvenus. Le peuple est capable de se fédérer tout seul, sans [eux] et sans syndicat. D'ailleurs, les syndicats se mettent à critiquer [le mouvement]. C'est normal, ce n'est pas eux qui en sont à l'origine. Donc forcément, ils vont critiquer ce qu'ils n'ont pas pu faire."