Avec 13,47% des voix aux européennes, la liste EELV portée par Yannick Jadot a déjoué tous les pronostics et créé la surprise. Sans atteindre le score historique de 2009, où ils avaient récolté plus de 16% des suffrages, les Verts sont arrivés en quatrième position dimanche, loin devant les partis traditionnels de gouvernement. À l’échelle européenne, le groupe Verts/ALE se classe en quatrième position et devrait décrocher 70 sièges, selon les résultats provisoires.
"Ça ne veut pas dire qu’il sera faiseur de roi en ce qui concerne la présidence de l’UE, mais il y aura en tout cas une nette inflexion des textes, ce qui est très important", a salué au micro de Wendy Bouchard, dans Le Tour de la question, sur Europe 1, Corinne Lepage, ancienne ministre de l'Environnement. En effet, si le rapport de force du groupe écolo semble dérisoire au regard du score récolté par les deux groupes politiques arrivés en tête des suffrages, le PPE (179 sièges) et le S&D (150 sièges), le net recul de ces deux forces politiques par rapports aux précédentes législatures devrait limiter leur poids.
L'art du compromis et des des majorités de circonstance
Surtout, le fonctionnement traditionnel du Parlement européen, relativement différent des usages qui ont cours, par exemple, à l'Assemblée nationale et au Sénat en France, devrait permettre aux Verts de laisser leur marque. En effet, les eurodéputés disposent d'une liberté d’action par rapport à leur groupe politique qui permet aux alliances de circonstance de transcender les différents blocs, quel que soit leur importance numérique.
"Le fonctionnement du Parlement européen n'est du tout le même que celui du Parlement français. On marche avec des compromis", explique Corinne Lepage, qui a siégé à Bruxelles et Strasbourg de 2009 à 2014. "Comment est-ce que l’on a la majorité ? Avec des groupes politiques mais aussi avec des personnes. Il n'est pas du tout interdit d’aller rechercher au sein de groupes autres des gens qui ont une 'bonne' sensibilité", poursuit-elle. "Un groupe peut aller convaincre d’autres groupes sur une idée partagée", abonde Julien Bayou, porte-parole d’EELV, également invité du Tour de la question sur Europe 1.
Ainsi, la discipline de groupe n’est pas du tout la même au Parlement européen et en France, où l’élu qui se met en porte-à-faux de son groupe pendant un vote peut toujours risquer, au mieux un recadrage de son président, au pire l’exclusion. "Personnellement, je n’ai jamais voté les mesures libérales du groupe libéral auquel j’appartenais, et personne ne m’a jamais rien dit", glisse encore Corinne Lepage.
>> De 9h à 11h, c’est le tour de la question avec Wendy Bouchard. Retrouvez le replay de l’émission ici
Un risque de renoncement ?
Illustration de cette culture du compromis, et des situations paradoxales auxquelles elle peut aboutir : le cas du glyphosate, dont l’interdiction est l’un des fers de lance du combat écologiste. Le 16 janvier 2019, toutefois, les Verts ont refusé avec le PPE de soutenir un amendement déposé par la GUE/NGL, le groupe d’extrême-gauche, et qui visait justement à faire interdire immédiatement ce pesticide controversé. Cet amendement avait été déposé dans le cadre d"un vote sur un rapport co-rédigé par le PPE et les Verts, plaidant pour une remise a plat des procédures d’autorisation des pesticides. L’adoption d’une interdiction immédiate du glyphosate, sujet particulièrement épineux dans les instances européennes, aurait risqué de faire capoter l’adoption du rapport dans son ensemble. L’abstention des Verts sur l’amendement du GUE/NGL, malgré leur position sur le glyphosate, a donc permis de sauver le texte.
L’art du compromis, s’il peut permettre aux Verts de former des coalitions de circonstance, peut donc aussi les contraindre à certains renoncements. "J’ai été rapporteur de deux textes sur les agrocarburants et les ONG, que j'ai fait voter en première lecture", se souvient Corinne Lepage. "Je ne me suis pas fait plaisir, j’aurai voulu aller beaucoup plus loin, sauf que pour adopter un texte... il faut une majorité". Toutefois, avec une vingtaine de sièges supplémentaires au sein du futur Parlement, les écologistes auront davantage de poids pour faire valoir leurs vues.
Les associations et lobbies environnementaux peuvent également jouer un rôle de vigie, et alerter lorsqu’ils estiment que le compromis glisse dans la compromission et que les engagements pris dans les programmes ne sont plus tenus. "Notre rôle en tant qu’association est d’être vigilant sur tout ce qu'ils vont pouvoir faire maintenant. Cette culture du compromis peut aussi tirer les choses vers le bas", avertit Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. "Notre rôle est de servir d’aiguillon", martèle-t-il, estimant déjà que la future législature devra se pencher de près sur une réforme de la politique agricole et une rehausse des engagements climatiques.