Quand on est à la tête d'un mouvement "et de droite, et de gauche", il est important de garder le cap tout en oscillant un peu. Emmanuel Macron est en train d'en faire la démonstration. Le fondateur d'En Marche! s'applique, depuis quelques jours, à donner des petits coups de barre à droite. Une manœuvre qui n'a rien d'innocent, alors que la droite est plongée dans la tourmente, son candidat François Fillon étant visé par plusieurs affaires.
Emmanuel Macron le sait : les déboires du vainqueur de la primaire de la droite peuvent lui servir. Favori de la présidentielle il y a quelques semaines encore, François Fillon accuse le coup des révélations en chaîne de divers médias sur, notamment, l'emploi fictif présumé de sa femme Penelope comme collaboratrice parlementaire. Mercredi, pour la première fois, une enquête d'opinion ne le donnait pas qualifié pour le second tour de l'élection fin avril. Selon ce sondage Elabe pour Les Echos et Radio Classique, François Fillon n'arriverait que troisième au premier tour, derrière Marine Le Pen autour de 26-27% et… Emmanuel Macron (22-23%).
Creuser le fossé avec la gauche. Les sondages n'ont jamais fait une élection, mais le constat est là : l'espace se dégage pour le fondateur d'En Marche!. Et lui compte en profiter pour récupérer un électorat de droite déstabilisé et susceptible d'être séduit par sa philosophie libérale. Cela commence en marquant nettement sa différence avec une partie de la gauche. Invité sur France Inter mercredi, l'ancien ministre de l'Économie a ainsi beaucoup insisté sur ses divergences avec Benoît Hamon. "J'ai du respect pour [lui] mais je ne partage pas ses convictions. Je ne pense pas qu'il reflète ce qu'est le progressisme", a-t-il expliqué. "Dans son programme, on n'explique pas comment on produit."
Pour Emmanuel Macron, Benoît Hamon "reflète une sensibilité forte d'une gauche très interventionniste, très redistributive, là où j'assume de défendre davantage les libertés et la capacité à produire, mais surtout la place du travail. Le travail, ça n'est pas un malheur, c'est votre capacité à trouver votre place dans la société, à vous construire, à vous sortir de votre condition." Une façon de répliquer à l'idée de revenu universel proposée par Benoît Hamon.
" Hamon reflète une sensibilité forte d'une gauche très interventionniste, très redistributive, là où j'assume de défendre davantage les libertés. "
Compter ses amis à droite. Ce discours n'est pas nouveau dans la bouche de l'ancien ministre de l'Économie, constant dans son positionnement de "candidat du travail" favorable à l'assouplissement du code du travail. Mais il y ajoute à une critique de la "gauche plurielle" voulue par Benoît Hamon. "Moi, je pense que cela ne permet plus aujourd'hui de répondre aux défis du pays". Emmanuel Macron préfère "rassembler la social-démocratie, l'écologie réaliste, les radicaux de gauche et de droite, le gaullisme social, la droite orléaniste et le centre-droit européen". Le calcul est vite fait : le curseur se place tout de même un peu plus à droite qu'à gauche.
Tous les ralliements ne sont pas mis en avant. Autre indice du petit appel du pied à droite : Emmanuel Macron s'est publiquement félicité des ralliements de Sylvie Goulard, eurodéputée membre du MoDem, de Jean Arthuis, également élu centriste au Parlement européen, d'Anne-Marie Idrac, ancienne secrétaire d'État de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, ou encore de Jean-Paul Delevoye, ancien ministre chiraquien. Pas un mot, en revanche, sur la transhumance de députés socialistes loyalistes déçus de la victoire de Benoît Hamon, comme Alain Calmette, élu du Cantal, ou Marc Goua, du Maine-et-Loire. Et l'ancien ministre se montre très dur envers les ralliés du PS, avertissant qu'il ne promettra aucune investiture.
Axer son discours sur la transparence. Par ailleurs, Emmanuel Macron joue à plein la carte de la transparence pour prendre le contrepied de l'affaire Fillon. La tâche n'est pas aisée, dans la mesure où lui aussi a dû s'expliquer récemment sur le financement d'En Marche!. Dans le livre Dans l'enfer de Bercy, les journalistes de Radio France Marion L'Hour et Frédéric Says racontent que l'ancien ministre de l'Économie a utilisé en 2016 80% de l'enveloppe annuelle consacrée aux frais de représentation, soit 120.000 euros. Laissant planer le doute sur la destination exacte de cette somme. Des élus de droite ont alors bondi sur l'occasion : Emmanuel Macron s'est-il servi de l'enveloppe pour organiser des déjeuners ou des dîners en tant que patron de Bercy ou en tant que futur candidat à la présidentielle ?
" Macron profite de la situation. C'est un fait objectif. "
Emmanuel Macron s'est défendu bec et ongle mercredi sur TF1. "Je n'ai pas utilisé cet argent pour le mouvement En Marche! Cela est interdit et j'y étais très vigilant." Et comme la meilleure défense reste l'attaque, l'ancien ministre a mis en avant plusieurs éléments pour se positionner comme le candidat de la transparence. "J'ai démissionné fin août 2016. Le jour où j'ai été candidat, j'ai démissionné de la fonction publique", a-t-il rappelé. "Je suis donc aujourd'hui le seul candidat à l'élection présidentielle qui n'est pas payé par le contribuable pour faire autre chose."
Récolter les fruits de l'affaire. Faisant cela, l'ancien ministre espère récolter les fruits de l'affaire Fillon. Cela semble bien parti selon les sondages. Si bien parti, d'ailleurs, que certains soutiens du vainqueur de la primaire de la droite accusent Emmanuel Macron d'avoir joué un rôle dans les révélations du "Penelope Gate". "Il profite de la situation. C'est un fait objectif", s'est enflammé Eric Ciotti, député sarkozyste des Alpes-Maritimes. "En suivant le vieil adage 'à qui profite le crime', on peut regarder tout de suite où sont les commanditaires de cette organisation quand même inédite."