Emmanuel Macron aime les entretiens fleuves dans lesquels il justifie sa politique ou dit ce qu’il pense des Français. Cette fois, à un an de la présidentielle, il parle de la France dans la revue Zadig, une revue intellectuelle haut de gamme. Durant ces 20 pages d’entretien, Emmanuel Macron livre sa vision de la France après la crise des "gilets jaunes" et de la pandémie qui ont secoué comme jamais notre pays. A un an de la présidentielle, le président lance aussi un message aux Français.
Depuis son arrivée au pouvoir, on a souvent parlé d’Emmanuel Macron comme d’un président vintage, aimant chiner les vieux mots et les vide-greniers du vocabulaire. Il le confirme d’emblée dans Zadig : "J’ai grandi dans les souvenirs de ma grand-mère. J’ai donc une vision de la France qui n’est pas du tout celle de ma génération", dit celui qui se réfère régulièrement au cinéaste Michel Audiard, chantre des années 1970
"Nous sommes une addition de pays qui ont chacun leur apport historique"
"Ma France, c’est une carte sensible entre deux pôles que sont Amiens et les Pyrénées, puis un troisième pôle qui est Paris", explique encore Emmanuel Macron. Une référence à une Picardie autrefois riche, et sans industrie aujourd’hui. Il dit ensuite : "On a totalement sous-estimé ce choc, et le sentiment de relégation". C’est une des raisons, d’ailleurs, selon lui, de la crise des gilets jaunes. Autre raison : le travail qui se concentre désormais dans les grandes villes, où les prix de l’immobilier ne cessent de grimper.
Pour Emmanuel Macron, l’histoire s’explique par la géographie. Il dit partir toujours en déplacement avec une carte en relief pour comprendre ce qui se passe : "Nous sommes une addition de pays qui ont chacun leur rapport historique." Il déclare sa flamme au Lot et sa région, qui a su redevenir une région industrielle. Il redit sa passion pour Marseille, pauvre, vibrant lieu d’accueil de toutes les immigrations et où on devenait Marseillais avant d’être Français.
"Cette idée que lorsque que la colère et la peur se nouent, tout est possible"
Au cours de ces pages, Emmanuel Macron ne se concentre pas uniquement sur sa carte familiale et intime : il tente aussi de dessiner une carte des états d’âmes du pays qui aime aussi se souder dans la colère : "On retrouve un des fondamentaux de notre vieux pays, fait de jacqueries, cette idée que lorsque que la colère et la peur se nouent, tout est possible", juge-t-il. En creux, c’est une manière de reconnaître que la France reste toujours un pays éruptif, alors qu’il proposait justement une autre révolution : celle de la négociation, pour sortir de la culture des barricades.
Pour le président, on est tout de même en train de changer d’époque, comme après toute pandémie. "Je relierais la période que nous vivons à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance", dit-il. "C’est l’époque des grandes peurs qui forgent un peuple et je dirais même la réinvention d’une civilisation." Il y a pratiquement un an, Emmanuel Macron appelait à une réinvention, "et moi le premier", disait-il. Il tente de de la faire dans cet entretien pour faire comprendre qu’il entend la France. Et comprend ses humeurs.
"On a échoué jusqu’à à présent à ancrer le président dans le terroir, alors qu’il est un provincial"
Alors pourquoi cet entretien a un an de la présidentielle ? Quelle est l’urgence du président à dire aux Français : "je vous comprends". La réponse, un conseiller présidentiel chargé de réfléchir à son image l’a livré à Europe 1 il y a plusieurs mois. "On a échoué jusqu’à à présent à ancrer le président dans le terroir, alors qu’il est un provincial. Il est perçu comme faisant partie de l’élite, hors-sol", regrettait-il. Cet entretien vient donc de loin. Et arrive au moment où Emmanuel Macron a annoncé qu’il allait reprendre son bâton de pèlerin pour prendre le pouls des Français. Dans Zadig, il donne en quelque sorte sa feuille de route pour cette nouvelle itinérance jusqu’à 2022.
Il a montré, grâce à sa vidéo avec McFly et Carlito, qu’il était à l’aise sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, il veut démontrer qu’il connaît le terreau, les terroirs et l’humus de la France. Après avoir parlé de révolution en 2017, il parle d’une France unie pour 2022. Comme tous les présidents qui voulaient changer la vie et qui ont été rattrapé par la réalité. Emmanuel Macron le dit régulièrement : "Mon élection est le fruit de la colère des Français". Des Français auxquels il veut dire aujourd’hui : "Je vous ai compris."