"Macron a été élu par le centre gauche, et on mène une politique de droite." Voilà comment l'un des piliers de la majorité résume à Europe 1 le malaise qui, aujourd'hui, étreint certains députés LREM. Une vingtaine d'entre eux regrette en effet un déséquilibre persistant dans l'action gouvernementale qui, loin de respecter les mantras "et de droite et de gauche" ou "libérer et en même temps protéger", pencherait en réalité beaucoup plus vers la première option que la seconde. Résultat : selon nos informations, ils réclament aujourd'hui un remaniement afin de permettre à des figures de gauche de poids de faire leur entrée et, espèrent-ils, rééquilibrer la politique de l'exécutif.
Ces inquiétudes couvent en réalité depuis l'automne dernier. Le quinquennat avait démarré sous des auspices plutôt libéraux, avec notamment les ordonnances de réforme du code du travail, et certains élus LREM d'obédience plutôt de gauche attendaient un rééquilibrage. Patients au début, notamment parce que la feuille de route des premiers mois avait clairement été annoncée pendant la campagne, ils ont fini par s'agacer en ne voyant rien venir. Et quatre épisodes sont venus alimenter leur déception.
Acte 1 : premiers signes d'impatience à la rentrée
Les premiers signes d'impatience sont apparus dès septembre dernier. Dans L'Opinion, Brigitte Bourguignon, députée LREM, réclame haut et fort au gouvernement "un plan de relance social". Tout en approuvant les premières mesures mises en œuvre pour faire "sauter les verrous" de l'économie, la présidente de la commission des Affaires sociales pointe un déséquilibre avec les mesures plus marquées à gauche.
Au même moment, l'économiste Jean Pisani-Ferry, qui a pourtant contribué au programme d'Emmanuel Macron, reconnaît dans le JDD que "les mesures fiscales favorisent ceux qui ont des revenus du capital".
Acte 2 : des dents grincent sur la réforme de l'ISF
Autre objet d'interrogations, pour ne pas dire d'agacement à LREM, dès la rentrée : la réforme de l'ISF. Si bien des députés de la majorité issus de la gauche acceptent sans problème que ce totem soit mis à bas, l'angle mort dans lequel sont laissés les biens de luxe tels que les yachts, les jets ou les voitures de course, passe mal. "Je pense qu'il y a des choses à revoir", ose notamment Joël Giraud, pourtant rapporteur du budget à l'Assemblée. "Un yacht, c'est m'as-tu-vu, ce n'est pas productif pour l'économie." Cette fois, le gouvernement obtient la paix en acceptant un amendement qui prévoit une taxation spécifique des produits de luxe. Le budget est adopté sans encombre.
Acte 3 : la loi asile et immigration enflamme les débats
Dès la fin de l'année 2017, et jusqu'en avril, la question des migrants va enflammer la majorité. L'attitude de Gérard Collomb laisse plusieurs députés sceptiques. Le ministre de l'Intérieur publie une circulaire sur le recensement des migrants dans les hébergements d'urgence qui hérisse les associations, emploie un vocabulaire que d'aucuns juge brutal et se montre, au moins au début, inflexible sur son projet de loi asile et immigration, qu'il ne veut surtout pas voir amender.
Finalement, les rapports entre la place Beauvau et les députés les plus réticents se détendent un peu lorsque des discussions sont engagées. Et même les élus favorables à une réorientation du texte, qu'ils jugent trop répressif, reconnaissent que le dialogue est possible. Mais sur le fond, rien ne bouge, ou si peu. Les débats en séance publique sont très animés, avec des députés comme Sonia Krimi, Martine Wonner, Jean-Michel Clément ou encore Matthieu Orphelin qui tentent de faire passer leurs amendements, en vain. Au final, seul Jean-Michel Clément vote contre le texte, et annonce dans la foulée qu'il se met "en congés" du groupe LREM. Mais près d'une centaine de députés s'abstient.
Acte 4 : le fossé se creuse sur l'écologie et l'économie
Ces trois dernières semaines, le fossé entre ces députés plus marqués à gauche et le pouvoir exécutif s'est encore creusé autour de deux principaux sujets. D'abord, la loi agriculture et alimentation, qui a laissé un goût amer à certains. La non-inscription de l'interdiction du glyphosate dans le texte, ou encore l'absence de mesures pour couper court à la vente d'œufs de poules élevées en batterie, font dire à plusieurs élus que l'occasion est manquée de s'orienter vers une production et une consommation plus raisonnée et écologique.
Par ailleurs, les prises de parole successives sur les aides sociales, jugées trop nombreuses par Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, ou promises à une refonte par Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, ne manquent pas d'inquiéter. Brigitte Bourguignon réagit immédiatement sur une potentielle baisse des aides à l'emploi, "mauvaise idée" selon elle.
Mais plus encore que ce qui est annoncé, c'est ce qui ne l'est pas qui déçoit la frange "sociale" de la majorité. Jusqu'ici, l'exécutif avait mis en avant l'urgence de certaines réformes par rapport à d'autres pour justifier un potentiel déséquilibre entre les mesures de droite et de gauche. Mais un an après l'élection d'Emmanuel Macron, les marcheurs issus de la gauche ne voient aucun changement venir. Et observent que les membres du gouvernement les plus audibles sont les pontes de droite, en plus d'un Gérard Collomb au vocabulaire toujours plus connoté sur les migrants (qui feraient du "benchmarking").
D'où leurs velléités de remaniement. Conscients néanmoins qu'il sera plus difficile de débarquer un Bruno Le Maire ou un Gérald Darmanin qu'un ministre moins connu, ils réclament plutôt le limogeage d'Elisabeth Borne (Transports), Françoise Nyssen (Culture) ou Jacques Mézard (Cohésion des territoires) pour les remplacer par des figures de gauche qui, enfin, pourraient incarner "la dimension sociale" du projet de LREM.