L'insinuation n'est pas passée inaperçue lors du débat d'entre-deux-tours, mercredi soir. Tandis qu'Emmanuel Macron attaquait Marine Le Pen sur les différentes enquêtes visant le Front national, la candidate a répliqué sans rien affirmer, mais en sous-entendant qu'une nouvelle polémique pourrait bientôt éclore : "j'espère que l'on apprendra pas que vous avez un compte offshore aux Bahamas…" Une accusation jugée suffisamment grave par le candidat d'En marche! pour qu'il porte plainte. Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour divulgation de fausse nouvelle en vue de "surprendre ou détourner les suffrages", faux, usages de faux, et recel de faux, jeudi.
Une rumeur née sur un site russe…. L'"information" a d'abord été publiée sur le forum anonyme anglophone 4chan, où circulent régulièrement rumeurs et théories du complot souvent favorables à des partis d'extrême droite. À quelques heures du débat, un internaute y a signé un post intitulé "documents proving Macron's secret tax evasion" (des documents prouvent l'évasion fiscale secrète d'Emmanuel Macron). "Si nous pouvons faire remonter le hashtag #MacronCacheCash pour le débat ce soir, cela pourrait décourager des électeurs Français de voter pour Macron", peut-on lire dans ce billet anonyme.
#4chanhttps://t.co/NxuqG0hxEF Documents proving Macron's secret tax evasion.
— 4chan /pol/ (@4chanUSA) 3 mai 2017
Les "documents" en question, au nombre de deux, font état d'un montage financier auquel aurait recours le candidat à l'élection présidentielle pour placer de l'argent... non pas aux Bahamas, mais aux îles Caïman. En bas de l'un d'entre eux, sur plusieurs pages, figurent les initiales "EM", pour Emmanuel Macron. L'autre, beaucoup plus court et sans référence directe au candidat, suggère un accord avec une banque caribéenne. Rien n'atteste de la véracité de ces pièces. En comparant les prétendues initiales d'Emmanuel Macron à des documents véritablement signés par le candidat, on note des différences d'écriture.
… et propagée sur les réseaux sociaux. Rapidement, la rumeur s'est répandue sur plusieurs sites également habitués des théories du complot, et, pour certains d'entre eux, pro-russes. Disobedient Media, RT et Sputnik l'ont notamment relayée. Selon le chercheur Nicolas Vanderbiest, spécialiste du cheminement des "fake news", qui a commenté le parcours de cette rumeur sur son compte Twitter, sa diffusion est bien due à la mise en branle de "tous les comptes les plus influents dans la propagande russe", ainsi que "des comptes internationaux faisant de la propagande pour Trump" sur les réseaux sociaux.
Ok donc la fake news sur le compte de Macron au Bahamas , on peut dire sans trop se tromper, que c'est by the Russians #2017LeDebatpic.twitter.com/iyCLDzTsth
— Nicolas Vanderbiest (@Nico_VanderB) 3 mai 2017
L'argumentation a été reprise par l'équipe de campagne d'Emmanuel Macron pour déconstruire la rumeur en faisant état de "faux grossiers", jeudi matin. "Ça fait un peu rumeur bâclée, généralement ceux qui sont à l'origine des fake news sont plus forts. Par exemple, ils inventent une histoire sur la manière dont les documents ont fuité. Là, il n'y a que deux documents pour appuyer la rumeur, c'est un peu faible", a notamment déclaré Mounir Mahjoubi, directeur de la campagne numérique du candidat. Emmanuel Macron lui-même a dénoncé de "fausses annonces et mensonges" émanant de "sites pour certains liés à des intérêts russes".
Et Marine Le Pen ? Jeudi, la candidate frontiste a reconnu "ne pas avoir de preuves", expliquant qu'elle avait simplement jugé nécessaire d'interroger son adversaire. "Je lui ai posé la question : est-ce qu'on va découvrir des choses, peut-être trop tard, le concernant ?" a-t-elle justifié sur BFMTV. Invité d'Europe 1, le vice-président du FN, Louis Aliot, a de son côté persisté dans l'affirmation de la rumeur, affirmant que "deux sites américains" évoquaient un compte d'Emmanuel Macron basé aux Bahamas. "Sûrement que cela sortira dans la journée", a-t-il affirmé, sans plus de précision.